L'Insoumise du Roi-Soleil
mets pas en danger votre propre vie...
— Allons ! fit-il en haussant les épaules. Je ne suis pas le créateur du fantôme et personne ne remontera à la source du bruit qui court à Versailles. Qui a inventé le retour de La Salle ? Personne, ou plus encore tout le monde. Non, croyez-moi, ce coup peut réussir.
Mais je devinais qu’il parlait ainsi pour me rassurer. Dans ce Versailles où tous s’espionnaient, où tout s’apprenait, les risques étaient énormes. Si Louis de Mieszko échappait à la trahison d’un de ceux mis dans la confidence pour répandre la rumeur sur le retour de La Salle, il devrait affronter les investigations de La Reynie. Or, il venait d’avouer qu’il se méfiait du lieutenant de police. D’ailleurs, n’était-ce pas à cause de lui que nous nous trouvions ici, complotant à notre tour ?
— Vous êtes un joueur formidable, cher ami, glissa madame de Sévigné soudainement convertie (ou séduite) par les idées de son marquis. Profiter d’un mensonge pour en créer un autre... C’est dit. Je ne m’assoirai jamais plus à votre table.
— Au jeu, glissa-t-il en plissant les yeux, on gagne rarement en comptant sur ses cartes. Dans cette partie, j’ai pris ce qu’il y avait de plus fort en face et qui manquait chez moi. Ce bateau est l’atout qu’il me fallait pour faire croire au retour de La Salle. Je me sers, en effet, d’un autre pour exploiter mon mensonge. Le principe de l’impasse repose sur les mêmes règles.
Il me regarda et ses yeux bleu et gris vacillèrent un instant :
— Ensuite, il faut espérer en votre chance.
Le marquis nous quitta peu après. Il retournait à Versailles pour vérifier encore si « la poudre s’enflammait ». Et demain, qu’en serait-il du feu d’artifice ? Il insista pour que je sois au château au plus tard le lendemain à dix heures. Une heure, ce n’était pas de trop pour nous adapter aux circonstances.
— Je dormirai au palais et j’utiliserai ma soirée à rencontrer le plus de courtisans. Mon carrosse viendra vous chercher. Habillez-vous sobrement, me conseilla-t-il.
Le porche de l’hôtel Carnavalet se referma sur lui. En remontant dans le salon de la marquise de Sévigné, je la surpris en pleine prière. Elle releva la tête :
— Je demande à Dieu qu’il se tourne vers toi, souffla-t-elle. J’y crois plus qu’à la chance.
Le temps passa vite, mais j’en pris pour écrire une seconde lettre à mon père. Craignant l’espionnage du roi, je ne lui parlai pas du programme de jeudi. J’imaginai aussi sa peur à me savoir engagée dans une telle entreprise. D’ailleurs, tout serait dit, accompli avant même qu’il ne reçoive mes explications. Cette lettre, quand j’y repense, était si insipide – anonyme même – et si différente de ce que nous avions plaisir à échanger, qu’il me vient à l’esprit que ce « silence » l’inquiéta tout autant qu’un long développement. La censure à laquelle je me pliai était l’aveu d’un trouble profond dont les tremblements de ma plume témoignaient plus encore. Je m’y repris à trois fois, tâchant de calmer mon émotion. Et en évoquant la soirée dans les Appartements du roi, je m’attachai à ne rapporter que le spectacle de la cour et en quoi je m’en sentais étrangère. J’achevai par ces mots : Vous n’aurez plus besoin de me convaincre. Je sais où est ma vie... J’espérais lui apporter un peu de réconfort. C’était aussi une façon de le préparer au nom de François de Saint Val. Car pour, moi, il ne pouvait en être autrement.
Puis midi a sonné. François s’est présenté. Je me suis précipitée au salon. La marquise de Sévigné était à la fenêtre.
— Il est beau, s’est-elle émue. Cours vite le retrouver.
Je ne l’ai pas fait. J’ai voulu prendre mon temps, éprouver les battements de mon cœur ; qu’ils mesurent combien je me sentais heureuse. Rien n’était-il plus fort que ce moment où je désirais m’abandonner ? Au fond de moi, le tambourin ne cognait pas moins fort. Alors, j’ai ouvert lentement le porche de l’hôtel Carnavalet. Je me suis avancée pareillement, domptant mon désir pour m’arrêter à un pas de lui et contre tout l’or du monde, je n’aurais voulu changer ce présent infini dans lequel s’engouffrait mon bonheur. Cette émotion dans laquelle brûlaient mes dernières résistances m’enseignait les délices de l’attirance. Aimer était trop séduisant. Mon corps me suppliait
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