L'Insoumise du Roi-Soleil
n’accepte plus les critiques. J’ai connu la cour au temps où madame de Montespan tenait le cœur du Roi-Soleil. Nous y étions joyeux, libres, légers. Les extravagances de cette favorite obligeaient le roi à plus d’indulgence.
— Mais cette femme est une empoisonneuse ! Elle a voulu tuer le roi !
Une fois encore, mon père prouva sa tempérance :
— Ne crois pas ces ragots. A-t-elle simplement glissé un philtre d’amour dans le vin de son amant ? Et si ce fut le cas, ne s’agissait-il pas du geste désespéré d’une maîtresse en proie aux pires inquiétudes ? Le roi s’en lassait. Voilà le seul fait avéré. Les messes noires, les ensorcellements dont certains l’accusèrent n’ont pu être prouvés malgré les investigations de La Reynie, cet officier de police manipulé, je le crains, par des esprits revanchards.
— Par peur du scandale, on étouffa le procès de madame de Montespan. Mais l’Affaire des Poisons a existé, je le sais. On me l’a dit. On a pendu la Brinvilliers pour avoir empoisonné son mari. Or cette femme achetait son poison chez la Voisin qui elle-même connaissait la Montespan. Le docte Blois, que vous appréciez tant, a consacré une leçon entière à cette affaire. Il m’a tout expliqué...
— Il a surtout raccourci l’histoire ! Je ne suis pas étonné que monsieur Blois juge mal la marquise de Montespan, mais on ne peut accuser sans preuve.
— Selon monsieur Blois, La Reynie les possédait sans doute. C’est pourquoi le roi l’a fait taire.
— Le roi le fit d’abord pour sauver son intimité. Ne va pas si vite en besogne et pose-toi cette question : crois-tu qu’il aurait épargné une femme, même belle et aimée, s’il avait eu la preuve qu’elle voulait le tuer ?
— Si j’avais vu cette Montespan, j’aurais lu dans ses yeux la vérité !
— Voilà que tu reparles de te rendre à Versailles !
— Et vous m’avez expliqué cent fois... non ! mille fois, que la cour n’était pas faite pour moi.
— J’ai connu un temps, te disais-je, où, si tu avais eu l’âge, je t’aurais montré avec joie les promesses du plus grand roi de France. Aujourd’hui, tout change. L’air qui circule à Versailles est autant vicié que les esprits. On n’y respire plus.
— Pourtant, vous vous y rendez encore ?
— Chaque fois, mon âme s’alourdit. La pire intolérance y règne en maître. Et je crains que les faveurs accordées par le roi à madame de Maintenon n’annoncent une période plus sombre encore.
— Que craignez-vous de cette femme qui n’est que la préceptrice des enfants de madame de Montespan ?
— Ces enfants sont le fruit des amours entre Montespan et le roi.
— À plus forte raison ! Madame de Maintenon ne dispose d’aucun pouvoir.
— Détrompe-toi. Le roi aime ses bâtards. Il leur rend visite régulièrement. En conséquence, il voit souvent madame de Maintenon, d’autant que son attirance pour sa favorite s’épuise, et l’Affaire des Poisons n’explique pas tout, ma petite entêtée ! Les effets du temps, la lassitude... Montespan s’éloigne, Maintenon s’approche, et elle est de plus en plus écoutée...
— Une favorite en chasse une autre. Les affaires de cœur ne gênent pas le roi.
— Madame de Maintenon n’est pas comme une autre . Elle influence la pensée du monarque. Il s’enfonce dans la foi qu’elle ne cesse de brandir. Elle le pousse vers les extrémistes catholiques. Elle agit contre l’esprit de tolérance voulu par l’édit de Nantes.
— Une femme aurait-elle autant de pouvoir ?
Mon père me caressa du regard :
— Je te crois capable d’influencer l’esprit le plus déterminé.
— Pourrais-je vous faire changer d’avis à propos de Versailles ?
Il devint grave :
— Le moment venu, tu décideras par toi-même. Mais écoute encore ce que j’ai à te dire. L’intolérance dont je te parle, tu en as été témoin. Souviens-toi du terrible échange entre Jacques Pelletier et le comte de Mortureaux lors de cette fête si belle à Saint Albert.
— J’ai gardé en mémoire les mots épouvantables qui furent prononcés. Mais je revois aussi le visage du jeune garçon de la troupe de théâtre qui me fit danser...
— Je te parle d’événements graves, Hélène. Le fossé qui sépare les catholiques et les protestants ne fait que grandir. Le roi a choisi son camp. Il n’incarne plus la somme de ses sujets. Il est le roi des catholiques. C’est ici que son pouvoir absolu
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