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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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conscience, c’est tout l’esprit de l’édit de Nantes, plaisanta alors mon père pour cacher l’émotion qui venait de le saisir et l’inquiétude qui gagnait son esprit.
    — Je reconnais ici l’honnête homme. Bonsoir, monsieur le comte...
    Jacques Pelletier le salua et, dans l’instant, tous les protestants se levèrent à leur tour pour remercier Pierre de Montbellay et s’incliner devant lui.
    Berthe, entourée de ses mirlitons, se présenta à ce moment précis pour annoncer le début des festivités. Il ne lui fallait pas moins que l’aide de dix suivants pour porter l’immense plat décoré sur lequel fumait une pyramide de gibier. En levant les yeux et en découvrant que la cour était désertée, elle s’arrêta brusquement dans son élan. Il y eut un début de bousculade. Les petits mirlitons se marchèrent sur les pieds. Un peu du gibier et de la sauce churent. Mais sous le coup de la surprise, Berthe ne réprimanda personne. Elle ouvrait les yeux et la bouche. Elle ne comprenait pas.
    — Eh bien ! Avance, Berthe. Ne vois-tu pas que nous sommes assez nombreux pour faire honneur à ta cuisine ?
    Mon père désignait les marchands, les artisans, les musiciens, les comédiens et les gens de Saint Albert venus se joindre à la fête.
    — Venez tous ! Approchez ! L’éclat est passé. Il a filé dans la nuit. Il n’a servi qu’à éclairer le ciel. Regardez comme cette nuit est belle. C’est le temps parfait pour rire et danser. Et vous, les comédiens ! Buvez, mais point trop avant de jouer votre pièce. Il y a longtemps que nous vous attendions...
    Mon père leva enfin les yeux vers la fenêtre d’où j’avais observé la scène. Il me sourit et cela suffit pour que je coure le rejoindre. Il me tendit les bras et nous nous embrassâmes. Mon cœur s’apaisa. Par-dessus son épaule, je vis qu’un jeune garçon de la troupe me toisait fièrement. Ses yeux bleus perçaient le crépuscule. Je lui appris à danser.
    Je n’ai plus pensé à mon cousin. Pour tout dire, je ne l’ai pas même regretté un seul instant.

    Protégée par mon père et l’enclave de Saint Albert, ignorant la cruauté des hommes, même si ce que j’en avais aperçu avec cette querelle me servait d’abrégé, le paradis où je grandissais et m’épanouissais ressemblait aux jolis contes pour enfants. Il n’y avait ni loup ni ogre. Et nous faisions front pour que la violence et la haine campent au-dehors. Les géants existaient, mais François Rabelais les avait inventés. Les Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel ou La Vie inestimable du grand Gargantua ne me voulaient aucun mal et nourrissaient mes propres inventions. Les outrances de ces êtres démesurés illustraient les promesses des humanistes : rire et se moquer pour mieux apprendre.
    Mon père était un lecteur devant l’Éternel des œuvres de Rabelais. Pour moi, il mimait les aventures fort désopilantes de ses héros de la Renaissance dont les vies invraisemblables lui semblaient être le signe encourageant du nouveau monde vers lequel nous allions.
    — La liberté, Hélène ! La liberté de pensée et de conscience... Le fait de pouvoir agir selon ses propres convictions. Et ce qu’il y a de plus merveilleux chez Rabelais, ce n’est pas ce qu’il nous raconte, mais qui le raconte.
    — Pourriez-vous expliquer votre enthousiasme autrement que par un rébus, mon père ?
    — Rabelais fut franciscain, bénédictin, curé de Meudon. Mesures-tu le chemin parcouru pour se libérer des dogmes de son temps ? Vois-tu combien ce philosophe errant, ce médecin de l’intelligence 11 , a éclairé notre chemin ?
    — Lequel ? lui demandais-je encore.
    — Celui des humanistes, Hélène ! Sa pensée, ses écrits ont préparé le terrain. Nous ne sommes que les pâles copistes d’une œuvre considérable dont les effets bouleverseront, un jour, l’ordre établi.
    — La monarchie, avais-je murmuré. Songeriez-vous à d’autres lois que les siennes ?
    — Non, Grand Dieu ! Ma fidélité au roi est grande, et si je crains, ce n’est que pour lui.
    — Redoutez-vous une nouvelle Fronde des grands seigneurs ?
    — Je parle des mauvais conseils qu’on lui donne et qui se retourneront contre lui. Son pouvoir absolu, utile pour unifier le Royaume, ne sert plus qu’à sa grandeur. Il est devenu un instrument de domination sans égal à nul autre. Le roi entend de moins en moins qu’on s’oppose à lui. Il décide tout et

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