L'Insoumise du Roi-Soleil
roi, je compris que j’assistais à la rencontre de deux êtres apparentés, dont la différence de rang n’ôtait rien au rapprochement. Complices, ce n’était pas suffisant. Par quel miracle, ai-je pensé, étais-je mêlée à cette scène de famille ?
— Sire, les chiens ont faim.
Le Roi-Soleil acheva sa lecture et griffonna trois mots en marge de la dépêche qu’il venait de consulter.
— Eh bien ! Fais venir ces canailles !
Bontemps ouvrit la porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse surplombant les jardins. Une pagaille de pattes, de griffes raclant le parquet, de jappements aigus se jeta dans le Cabinet du roi. L’un des petits monstres fila directement vers la marquise de Montespan tandis qu’un autre vint me renifler. Le plus malin se roula aux pieds du roi en attendant sa caresse. Bontemps ne tarda pas à revenir, les bras chargés d’écuelles remplies de viande fraîche dont une famille de Saint Albert aurait fait à la fois son dîner et son souper. La marquise en prit à pleines mains et commença la distribution, partageant bientôt ce rôle avec le roi.
— Le brigand ! cria-t-elle. Louis, avez-vous vu cette voracité ? Il m’a mordillée...
Le roi, puisqu’on lui parlait, sourit au chien et à sa nourricière. Et ce n’était que paix et douceur. J’avais devant moi le spectacle d’un couple heureux, au bonheur simple, ce qui me procura une grande surprise.
— Sire, glissa Bontemps, l’heure de la messe approche.
— Rappelle-moi l’auteur du sermon ?
— Bourdaloue, sire.
— Allons ! Je ne peux faire attendre cet orateur. Madame ?
La marquise plongeait les mains dans les écuelles.
— Athénaïs, c’est assez ! Il faut encore parler à Hélène de Montbellay.
Il n’avait pas oublié, même si, jusqu’à cet instant, j’étais restée comme invisible. Il s’essuya les mains à un linge immaculé que lui tendait le valet et le posa sur le bureau, recouvrant la dépêche, puis se tint debout, parlant sans quitter les chiens du regard :
— Mademoiselle, il vous reste assez de temps pour prononcer trois phrases.
— Sire...
— Comptez vos mots, me coupa-t-il aussitôt. Je sais que vous venez pour obtenir le pardon du roi, mais le jugement qui fut pris envers votre père est juste. Aussi, ne parlez que pour dire ce que vous affirmez savoir à propos de ces meurtres.
— Votre Majesté, trois phrases, c’est deux de trop. En voici une qui sera la dernière : je ne peux en dire davantage.
Il cessa de s’intéresser aux chiens. Et la marquise interrompit sa distribution.
— Pourquoi ne pourriez-vous pas ?
— Sire, la même raison, la même logique, le même esprit président chez les Montbellay. Si vous n’entendez pas l’un, comment pourriez-vous écouter l’autre ? Mais je parle trop. C’est déjà ma deuxième phrase...
— Comment pouvez-vous !
— Louis ! Attendez.
La Montespan s’avança et vint se placer à côté de moi :
— Cette jeune fille a de l’esprit et du panache. Je lui trouve aussi de la fidélité. Et n’est-ce pas ce qui manque à la cour ? Voulez-vous, s’il vous plaît, lui prêter attention. Et Bourdaloue attendra. Son sermon est sur l’Apocalypse et ce n’est pas cela qui vous menace aujourd’hui.
— Madame la marquise ! jeta le roi, le verbe irrité, nous n’aimons pas que vous vous moquiez ainsi.
Peu effarouchée par les paroles de son amant, la favorite se tourna vers moi :
— Qu’avez-vous à nous apprendre sur ce fantôme ?
— D’abord, il n’y a pas de fantôme. Mais derrière son masque se cache un meurtrier. Est-ce celui qui interpréta le revenant au cours de cette réunion morbide présidée par madame de Lancquet ? Selon moi, la réponse est non.
— Continuez, fit-elle.
— Imaginons que le personnage ayant joué le spectre soit lui-même victime de celui qui l’a engagé. Il croyait à une farce et il découvre qu’il interprète un drame. Les menaces qu’on lui a demandé de proférer faisaient partie d’une comédie dont la victime innocente était cette pauvre vicomtesse. Il joue. Il sort de scène. Il croit que tout est fini. Et puis surviennent de vrais morts. Il n’est donc pas l’auteur des crimes dont on l’accuse. L’idée a germé en moi en regardant la pièce de théâtre. Et si j’ai raison, voilà que l’affaire n’est plus celle du fantôme, mais de celui qui lui a fait endosser le rôle. Qui s’est inspiré de cette sombre pantalonnade pour commettre des meurtres
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