L'Insoumise du Roi-Soleil
perdre. Le désespoir et la rage me poussèrent alors un pas trop loin.
— Dans trois jours, repris-je, je vous donnerai le nom de ce fantôme !
Au fond de moi, quelque chose me hurla que j’étais inconsciente.
— C’est plus qu’une assurance, railla le roi.
— J’en fais le serment, ajoutai-je désespérément, poussant plus avant ma trop soudaine témérité.
— Allons ! Ne vous pressez pas, tenta de sourire la marquise. Et comment pouvez-vous être si convaincue ?
— La raison ! martelai-je. Et je démontrerai que cet esprit, qui accuse mon père, n’est pas l’ennemi du roi.
— Vous êtes plus entêtée qu’un régiment de dragons, murmura-t-il d’un ton mi-froid mi-amusé.
— Moi, cette ferveur me plaît, reprit la marquise de Montespan. Accordez-lui cette chance, elle la mérite. Donnez-lui trois jours pour nous livrer cet horrible fantôme.
— Savez-vous ce que vous coûterait votre échec ? pesta alors Louis XIV.
— L’exil, je devine. À quoi bon se lamenter, puisque nous avons tout perdu... À l’inverse, si je réussis, ne pourrais-je pas affirmer que les Montbellay ont servi leur souverain ?
— Si vous réussissez, répéta-t-il, je ne pourrai m’y opposer.
— Mais est-il possible de servir le roi s’il ne délivre pas son pardon ?
La manœuvre se révélait trop évidente. Il ne répondit rien.
— Je ne sollicite aucune autre gloire, insistai-je. Je souhaite seulement que nous retrouvions notre honneur et la confiance du roi. Cet échange n’est-il pas juste ?
— Il peut l’être, en effet, se força-t-il.
— Alors, nous servirons le roi, et lui nous pardonnera, puisque l’un et l’autre ne peuvent aller séparément.
— Allons ! s’exclama la marquise, tant de constance et de bon raisonnement méritent une récompense. Dites oui, mon ami.
Bontemps, le premier valet, vint à passer le nez par la porte :
— C’est l’heure, sire. La reine, les princes et princesses de sang, le révérend père Louis Bourdaloue attendent le roi.
Puis, baissant la voix :
— J’ai pris sur moi d’inviter madame de Maintenon à conduire sans attendre les enfants de madame la marquise de Montespan à la chapelle...
Le Soleil sembla du coup sortir d’un rêve. D’un sourire, il remercia Bontemps. Puis il regarda la marquise qui, du menton, l’invitait à se décider. Alors il fit enfin un pas vers moi :
— Je le ferai, déclara-t-il d’une voix sans émotion. Si vous réussissez, je renouerai le serment qui soumet les Montbellay au roi, puisque c’est mon droit et le devoir de la noblesse.
Et sans doute parce que je ne baissais pas les yeux et ne le remerciais pas encore, il ajouta ceci, comme pour lui :
— Un roi respecte toujours ses serments.
La sentence ressemblait à une douloureuse fatalité.
— Sire, je vous remercie, dis-je les joues enflammées par la folie de mon défi, en prenant soin de m’incliner respectueusement.
Le roi sortit avant que je ne relève la tête et il fit face aux courtisans qui l’interrogeaient du regard.
— Nous vous verrons dans les jardins, après le dîner, lança-t-il à l’adresse de tous.
C’était tout Louis XIV, pareil à lui-même, et fermant la parenthèse.
D’un signe, il invita la marquise de Montespan à se joindre à lui. Elle se glissa à ses côtés après m’avoir prise par la main pour me conduire à la vue des courtisans, saluant et souriant. Elle était de nouveau maîtresse de ses sentiments et se présentait à la cour comme restant à jamais celle du roi. Nous vînmes à passer devant le marquis de Penhoët. Elle marqua imperceptiblement le pas :
— Les choses vont bien, dit-elle d’une voix forte. Le roi a donné sa confiance à Hélène de Montbellay. Voyez à quel point ! Bientôt, nous dirons adieu à ce vilain fantôme. Faites-moi plaisir. Dites-le autour de vous, mon cher marquis.
La troupe prit la suite de Louis le Quatorzième et nous allâmes ainsi à la chapelle. Derrière nous, combien y avait-il de rancœurs, de jalousies, d’ennemis ? Et le criminel se mêlait-il à ce ballet des fats, des faux et des furieux ? Ce jeudi 5 novembre, à l’heure de la messe, j’avais étrangement gagné la confiance de la marquise de Montespan. Mais en même temps, à n’en pas douter, un nombre élevé d’adversaires.
La messe qui suivit me renseigna sur ce que la marquise de Sévigné appelait les progrès du parti dévot. Mais qui en était le chef ? Le roi, semblait-il, au premier
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