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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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avais jamais pensé. Une bourrasque intérieure me porta et me bouleversa. J’étais chez le roi, mon roi, avec lui. Un simple panneau de bois me séparait du commun. J’osai, je crois, un pas en sa direction. Après, je m’arrêtai. Qu’y avait-il encore ? Que dire des décors ? La pièce se révéla moins grande que la précédente, ce qui renforça l’illusion de l’intimité et aggrava ma timidité, mon malaise même. Aujourd’hui, je le regrette, mais j’interdis sur-le-champ à mes yeux de fouiller davantage. Et mon regard se fixa droit sur le bureau en acajou derrière lequel Louis XIV s’était assis pour lire une lettre qu’un homme muet venait de déposer, repartant aussitôt par une embrasure située à l’opposé de celle par laquelle nous venions d’entrer. C’était sans doute urgent.
    Sans attendre une permission, la marquise de Montespan disposa d’un fauteuil situé sur le côté droit du bureau. Le roi lui prit la main et sourit, comme s’ils étaient seuls. Et ce n’était plus le même. Il se montrait anodin et sensible, sans gêne et sans pudeur, et surtout sans réserve. Puis il lut cette dépêche et son attention se porta sur cette seule action. À ma grande surprise, ce fut elle, la marquise de Montespan, qui s’adressa à moi en premier :
    — Ne vous étonnez de rien. Patientez. Le roi désire vous parler.
    Son visage se détendit :
    — C’est bien vous, en effet ! Nous vous avions surprise depuis cette ouverture alors que vous marchiez dans les jardins.
    Elle se releva, quitta le roi afin de venir près de moi, me prit la main et me conduisit jusqu’à la fenêtre :
    — Il se peut que vous n’ayez guère d’occasions de voir les jardins d’ici. Profitez, jeune fille.
    Une brume épaisse enveloppait les bosquets, enfantant un monde étrange et ensorcelant. Les statues couchées symbolisant les rivières de France pouvaient en être les maîtres, indolents et lascifs, flottant entre ciel et terre, et assurés de reposer en paix sous la garde des topiaires, ces arbres parfaitement taillés, dont les formes lunaires évoquaient des anges, gardiens d’une contrée bardée de soie grise. Les berceaux de treillage représentaient les frontières, et les macramés de buis, parés de fleurs sang et or, figuraient les offrandes de la Terre offertes aux dieux de ce royaume surnaturel.
    — C’est un temps pour fantôme, murmura-t-elle un moment en riant, interrompant mon observation.
    — Madame !
    Le roi avait levé les yeux, faussement courroucé. Son regard ? Celui d’un complice, d’un ami. D’un amant même. Et sans autre effet, reproche ou sermon, il reprit sa lecture. Il paraissait serein. Et si différent.
    La marquise de Montespan se tenait près de moi, et nos bras auraient pu se toucher. Quand le courage revint, je levai les yeux pour l’observer. Quel âge avait-elle ? Plus de quarante ans, assurément. Pourtant, une indicible fraîcheur se dégageait de son être. Un rire cristallin, un petit jeu d’épaules, une façon de tourner sur elle en prenant entre ses mains les pans de sa robe et en inclinant la tête comme on s’invite à un menuet, toute sa personnalité résidait dans la grâce, l’élégance, le charme indicible de sa sensualité. Elle se voulait jeune et séduisante et le restait malgré les signes d’un bel automne. Certes, elle s’imposait une mise en scène permanente, faite de mouvements, de sourires qui ne la laissaient pas en repos et masquaient les imperfections du temps, mais cet ensemble admirable, construit à force de discipline et d’attentions de chaque instant, parvenait à cacher les petites fêlures de cette favorite dont on devinait les drames à venir à ses cheveux tissés de brins de paille grise, à ses mains potelées, à sa taille ronde, preuve des dons du roi offerts à la mère de ses bâtards. Malgré la course des ans, il lui restait ses yeux pétillants d’envie de donner et de prendre. Et je pouvais comprendre le désir du roi d’en cueillir encore les coupables promesses.
    La même embrasure, aussi petite que discrète, s’ouvrit. Un homme s’avança vers le roi et lui parla avec affection. En lui répondant, le roi lui-même nous livra son nom : Alexandre Bontemps, le premier valet de Sa Majesté. Mais c’était un ami qui se présentait en toute simplicité. Et cette tendresse semblait partagée. À des détails dont le plus évident était la façon affranchie dont il s’avançait vers la table du

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