L'Insoumise du Roi-Soleil
côtés.
Après tout, ce sinistre personnage, bien que cauteleux aujourd’hui, avait fait embastiller, exiler, espionner des personnages bien plus coriaces ou aguerris que moi. Ses nouvelles manières affables ne pouvaient-elles dissimuler une manœuvre sournoise ? Ne devais-je pas, aussi, me méfier de mes inclinations premières, toujours promptes à croire en la bonté des autres ? Et malgré l’indéniable attirance qu’exerçait ce personnage, j’en vins à me demander si cette alliance paradoxale n’était pas le pire remède.
— Mademoiselle, je regrette le ton que prend cet entretien, rétorqua mon interlocuteur, fine mouche devinant mes préventions. On me prête tous les défauts, on me craint, on me croit sévère. Tant mieux, c’est ainsi que j’avance malgré ma taille et mon allure. Mais sachez-le, pas un de mes ennemis ne peut dire que j’ai manqué d’honnêteté. J’ai promis, c’est dit. Et ce que le roi décide...
— Vous parlez d’honnêteté ? dis-je en m’emportant plus que je l’aurais dû. Pensez-vous que mon père méritait ce qu’on lui fit ?
— Mademoiselle, je ne juge pas les décisions du roi. Je l’ai informé, c’est tout. Cette lettre, ce n’est pas moi qui l’ai écrite. Je n’ai rien contre vous ou votre père. Pour tout vous dire, je n’ai pas même d’avis car ce n’est pas mon métier. J’ai fidèlement rapporté au roi. Ne voyez pas plus loin.
— Est-ce avec la même honnêteté que vous l’avez servi dans l’Affaire des Poisons ?
Ce coup, fort bas, porta. Il blêmit :
— J’ai eu pour seul tort de trop parler. Depuis, murmura-t-il, j’agis plus prudemment.
Attention, je l’avais blessé. Inutilement même. Mordiller la main fourbe qu’on vous tend, soit, mais la meurtrir jusqu’au sang relevait d’une mauvaise politique. Je devais m’adoucir pour ne point le braquer trop et m’en faire, un jour, un ennemi.
— Pourtant, vous avez soutenu auprès du roi que l’affaire du fantôme était très grave, dis-je pour soulager la tension.
— Je le soutiens, mademoiselle, murmura-t-il, heureux de ma diversion dont il ne fut pas dupe. Ma conviction se fonde sur des raisons que vous ignorez, mais dont je vous parlerai afin de vous prouver ma bonne volonté.
Il pointa son menton pointu vers le marquis de Penhoët qui jusque-là surveillait l’assaut et comptait les coups.
— Je crois en effet pouvoir vous être utile, bien que vous ayez choisi d’être accompagnée par l’un des esprits les plus brillants et des mieux informés de cette cour.
— Moins que vous, monsieur de La Reynie, ronronna le marquis. Moins que vous...
À l’instant craintif et soupçonneux, il devenait affable et diplomate. Était-ce une ruse ou se rangeait-il au ton accort et bienveillant du policier ?
— Bien ! grognai-je. Ces civilités étant faites, parlons de la suite.
— Je vous écoute, mademoiselle. Que puis-je, puisque vous me cherchiez ? Car je vous précise encore que c’est vous qui...
— Allons, monsieur de La Reynie, ne tentez pas de l’emporter. Notre passe d’armes est terminée. Les épées comme les préventions et les hostilités, rangeons-les dans leurs fourreaux. Sommes-nous des alliés ou des concurrents ?
Il sautait d’un pied sur l’autre :
— Je vous ai promis l’honnêteté. Choisissez votre méthode, je m’y plierai.
— Alors, je vous parlerai, moi aussi, avec franchise. Par un étrange ou odieux hasard, j’ai besoin, pour sauver mon père, de l’appui de celui qui le fit condamner. Non ! Je ne dis pas que c’est vous. Mais il me plaît de croire que vous en êtes l’instrument. Celui-ci pourra-t-il m’aider à réparer l’injustice ? Voyons-le tout de suite.
— Je vous écoute, mademoiselle, fit-il en se grattant l’oreille.
— Conduisez-moi auprès des morts.
— Je vous prie, mademoiselle, de préciser votre demande, répondit-il sans émotion.
— Je veux voir ceux que le fantôme a tués.
— Nous les avons rassemblés dans une pièce sombre et humide. La vue et l’odeur ne sont pas...
— Conduisez-moi, monsieur le lieutenant de police.
— Si fait, mademoiselle.
Il redressa sa petite taille et, sans hésiter, pivota d’un quart.
— Monsieur Nicolas de La Reynie ? le rattrapai-je.
Il m’observa en s’appuyant sur les talons :
— Oui, mademoiselle.
— Vous ne croyez pas un instant que je puisse réussir, n’est-ce pas ?
— Voyez la preuve de ma franchise : en effet, je n’y
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