L'Insoumise du Roi-Soleil
crois pas.
— Et pourtant, vous allez m’aider ?
— Oui, mademoiselle, puisque le roi le veut.
— Et vous perdrez votre temps avec tout autant de patience ?
— On ne gaspille pas son temps à servir le roi, mademoiselle.
Il s’avança vers moi et me regarda de ses gros yeux en lançant le nez en avant :
— Et il se pourrait que vous me veniez en aide plus que vous ne le pensez.
— Allons bon ! Et comment ?
Cette fois, il me montrait du doigt :
— Je vous observe depuis votre arrivée à Versailles. Si vous n’avez pas la méthode, vous avez du courage. Et pour affronter les forces vers lesquelles nous allons, il en faudra.
Il s’avança encore et baissa d’un ton, sa voix devenant un murmure :
— Mademoiselle, voici mon contrat. Je vous informe et je vous couvre. Vous avancez dans la lumière et j’agis dans l’ombre. Je vous livre ma thèse et mes convictions et si je vous prouve que j’ai raison, vous m’appuyez quand il faudra parler au roi. Oui, c’est un donnant-donnant. Moi, c’est l’enquête et vous, la plaidoirie. Et si nous triomphons, votre père sera libre.
Puis il claqua du bec en levant un peu les épaules.
— Pourquoi me laisseriez-vous un si beau rôle ? demandai-je.
La Reynie pinça la bouche et Dieu, que ses mimiques me parurent drôles.
— Je vis dans l’ombre et cela me suffit. Mais il y a autre chose, souffla-t-il en levant une épaule et en baissant l’autre dans un geste à la fois comique et nerveux. Et voici la preuve définitive de ma fidélité. Je vous avouerai que mon avis compte moins depuis l’Affaire des Poisons. C’est regrettable, car j’ai agi dans l’intérêt du roi, croyez-moi. Pour cette nouvelle enquête, j’ai mon opinion. Mais quand il faudra punir ou conclure, je crains de ne pas être, comment dire, assez entendu par le roi...
Il regarda dans son dos, cherchant qui l’écoutait, et l’allure du pivert ne fut jamais plus vraie :
— Je ne suis pas apprécié de la marquise de Montespan, comprenez-vous ?
— A-t-elle à voir dans cette histoire ? murmurai-je.
Il pinça le nez et secoua la tête vers le bas, puis de gauche à droite :
— Oui et non. Je vous expliquerai. Disons qu’elle s’est déjà fait une idée sur cette affaire qui, selon moi, n’est pas la bonne. Et je crains que son avis l’emporte sur le mien.
— Et qui d’autre qu’elle pourrait séduire le roi ? murmurai-je.
La Reynie sembla approuver :
— Ce qu’elle dit au roi compte parfois plus que l’intérêt du Royaume.
Chez lui aussi, les plaies de l’Affaire des Poisons n’étaient pas refermées.
— Monsieur le lieutenant de police, me demanderiez-vous de trahir celle qui m’a aidée à convaincre le roi ?
— Non, soupira-t-il, car je la soutiens plus qu’elle ne le croit et je vous le prouverai. Mais allons ! Ce n’est pas le lieu pour en parler.
— Une dernière chose, monsieur La Reynie.
— Plaît-il, rétorqua-t-il d’une voix impatiente.
— La marquise de Montespan serait-elle venue à mon secours dans le dessein de vous nuire ?
Son corps fut pris de nouvelles gesticulations :
— C’est peut-être une explication, mais point la seule. Patientez. Je vous dirai tout, répéta-t-il. Mais à moi maintenant de vous poser une question.
— Je vous en prie.
— Pourquoi voulez-vous voir les morts ?
— Je suis impatiente d’apprendre comment un fantôme sans os et sans chair peut tuer un homme, et même deux.
Ses yeux roulèrent de plaisir :
— Vous commencez bien. C’est exactement le problème que j’ai tenté de résoudre.
— Et avez-vous la réponse ?
Il grinça des dents, s’inclina et tendit la main vers la gauche :
— Venez. C’est par là. Il nous faut sortir du château. J’ai fait porter les corps dans les cuisines. C’est encore là qu’ils sont le mieux conservés. Et sans cela, pas d’observation...
Les morts reposaient sur deux tables en bois, dans une pièce dont l’usage habituel était d’entreposer la glace que le roi faisait venir depuis les frontières des Alpes pour amuser la cour en sorbets et autres gourmandises. Un marmiton courtaud et graisseux nous avait ouvert la porte. Malgré le froid, il suait de peur. J’entrai la première, suivie du marquis de Penhoët. La Reynie fermait la marche.
Il s’approcha du premier corps en précisant qu’il s’agissait de Villorgieux. Selon ce que je savais, il avait été étranglé par cette chaîne que l’on met aux mains et aux pieds
Weitere Kostenlose Bücher