L'Insoumise du Roi-Soleil
chose... Il nous aurait conduit à un nom et de là, jusqu’à qui ?
— Monsieur de La Reynie ? demandai-je.
— Oui, mademoiselle.
— Est-il fréquent de voir des hommes noirs dans Paris ?
— Certaines familles ont des esclaves à leur service à cause d’une mode récente. Ils viennent des comptoirs de Saint-Domingue ou de Guinée et, parfois, rentrent avec leurs maîtres quand ceux-ci quittent nos colonies. Ils sont pour l’essentiel calmes et soumis, ayant la nostalgie de leur pays, et cette humeur les rend paisibles. Nombre ne se font cependant pas à notre climat et meurent plus sûrement que dans les colonies. J’ai aussi connu quelques affaires d’esclaves en fuite, des êtres qui vivent de rapines, accrochés à la cour des Miracles. Leur destin est terrible : ils seront arrêtés et mis aux fers avant d’être exécutés.
— J’ai peut-être trouvé la carte qui nous manquait, murmurai-je.
— Dites vite, mademoiselle.
La Reynie m’avait fait confiance. Il me semblait juste de lui renvoyer la politesse.
— J’ai vu au théâtre un homme noir qui jouait le rôle d’un fantôme et...
— Je ne le sais que trop, mademoiselle, me coupa-t-il aussitôt. Mes mouches s’y trouvaient. Le chef de cette troupe a prononcé ces mots – les mouches sont dans la salle ! Le résultat ne s’est pas fait attendre. Cet homme a fui. Et depuis ? Disparu.
— Puisque vos mouches lui font trop peur, c’est qu’il a quelque chose à leur dire.
— J’y ai songé. Mais comment le débusquer ?
— Laissez tomber vos méthodes et acceptez la mienne.
— Qu’auriez-vous de mieux à nous offrir ? s’étonna-t-il.
— Je connais quelqu’un qui pourrait nous renseigner.
Bien sûr, je pensais à Turlupin qui, dans les coulisses, m’avait confié qu’il savait où trouver ce personnage mystérieux.
— Ah ! Parlez sur-le-champ, s’emporta le policier, et j’envoie ma meilleure équipe cueillir ce témoin !
— N’en faites rien. Laissez-moi agir seule. Au premier émissaire du lieutenant de police, les bouches se fermeront. Eh ! oui, monsieur, vous n’êtes pas le bienvenu dans le monde des poètes et des pamphlétaires.
— Qu’en savez-vous ?
— J’y ai mes amis et mes entrées.
La Reynie soupira :
— Mademoiselle, ne me forcez pas davantage. Nous avons promis l’honnêteté et soudain vous me portez à croire que vous voudriez vous y soustraire. Ne vous ai-je pas parlé en confiance ?
Si je tenais à garder cet allié, même provisoirement, je ne pouvais me taire. Et il disait vrai, il avait joué cartes sur table.
— J’approcherai Turlupin, le chef de la troupe où a joué ce personnage.
— Qui vous conduira jusqu’à lui ?
Sans hésiter, je répondis :
— Beltavolo. C’est un comédien. Et aussi le fils du chevalier de Saint Val. Je sais que je peux compter sur lui.
Il me sembla que La Reynie voulait dire autre chose. Mais il baissa les yeux et se tut.
— Est-ce prudent ? s’inquiéta le marquis de Penhoët.
— Croyez-moi, assurai-je, je ne crains rien.
— Quand agirez-vous ?
— Ce soir même. Et vous, monsieur le marquis, que ferez-vous ?
— Si monsieur de La Reynie soutient ce projet, je me faufilerai parmi les amis de la vicomtesse de Lancquet qui est la malheureuse ordonnatrice de cette soirée avec l’au-delà. Enfin quoi ! Il a bien fallu que quelqu’un soit informé avant pour que le fantôme organise son numéro.
— Faites, monsieur le marquis, souffla La Reynie, mais je n’en attends pas grand-chose. Trop de gens furent mis dans la confidence. La mise en scène peut venir de n’importe qui.
Il se frotta le nez :
— La vicomtesse peut même en avoir parlé avant à son confesseur qui est jésuite. Comme il était trop tard pour reculer, elle regrettait son idée et, pour se libérer de ce péché, elle livrait son secret. Et le jésuite...
Il sortit de ses songes.
— Allons ! Ce métier s’exerce sans extravagance. Agissons comme convenu, et décidons de nous parler demain. À moins, mademoiselle, que vous souhaitiez me voir cette nuit ?
— Si l’urgence l’exige, je reviendrai à Versailles.
— Ce ne sera pas nécessaire. Je serai à Paris pour d’autres affaires, grogna-t-il... Croyez-moi, rien ne s’est arrêté pour autant.
— Mais comment vous trouverai-je ?
Il ouvrit le tiroir de son bureau et me tendit un sifflet :
— Les mouches veillent toujours et se reconnaissent ainsi. Au premier signal, on viendra à vous.
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