L'Insoumise du Roi-Soleil
s’agissait du pouvoir. Un combat se livrait dans les coulisses. Les uns voulaient affaiblir les jésuites, et ceux-là résistaient. Poursuivant son raisonnement, ce bon policier situait le cœur de l’intrigue en Louisiane. Mais convenait-il de voir si loin ? Le drame ne se jouait-il pas plutôt ici, à la cour ?
— Monsieur, lui dis-je, avez-vous songé que cette affaire n’avait peut-être aucun lien avec nos colonies ?
— Non, mademoiselle, maugréa-t-il pour le moins désarçonné. Et je vous prie de m’expliquer pourquoi ?
— Suivez ma pensée. Primo , oublions définitivement la première piste. Ce n’est en rien un crime crapuleux.
— Pure hypothèse, mais soit, fit-il simplement, alors que le tapotement de ses doigts sur le bureau montrait son agacement.
— Secundo , oublions même que ces deux hommes aient pu avoir des intérêts en Louisiane.
— Je m’y emploie aussitôt.
Sa nervosité grandissait.
— Alors, que reste-t-il, monsieur de La Reynie ? demandai-je en plissant les yeux, à la façon du policier au moment où il piège sa proie.
Ses doigts cessèrent tout mouvement :
— Un même poison. Sans doute, un même empoisonneur. Et...
— Vous n’osez pas le dire, mais il subsiste surtout deux ennemis des jésuites. Et voilà que se dessine une lutte fratricide, qui... se déroulerait en France.
Son visage se crispa.
— L’affaire toucherait-elle la cour ?
Il m’interrogeait comme si je tenais sa place.
— La Louisiane est si grosse qu’elle nous trompe, avançai-je. Et nous cache que tout se joue ici.
— C’est encore plus grave que ce que je pensais, crissa-t-il. Cela met en jeu le pouvoir de certains, les proches du roi. Mon Dieu ! Je songe à des noms... Ah ! pas de ça, encore.
Pour la première fois, sa voix devint sombre :
— Vous me demandiez, tout à l’heure, comment ne pas trahir madame de Montespan. Je réponds « en agissant avec prudence ». La favorite est l’ennemie des jésuites, qui veulent que le roi mette fin à l’adultère. Dès lors, elle se sait menacée. Et ce complot, s’il apparaissait que la Compagnie de Jésus y est mêlée – ce dont je doute encore –, pourrait lui donner l’occasion de se venger et même de reprendre le dessus. Du moins, le pense-t-elle. Et voilà qui explique qu’elle vous ait défendue auprès du roi. Mais si elle, vous ou moi, nous nous trompions, le retour de bâton serait terrible et elle se verrait condamnée pour toujours. Croyez-moi, je la défends en disant ceci et c’est pourquoi il convient de ne pas nous précipiter. Trop d’enjeux et trop de puissance...
Voulait-il aussi se racheter pour le mal qu’il avait commis dans le passé ?
— Eh bien ! conclut le marquis, plus nous avançons, plus tout se complique.
Nous sombrâmes dans des abîmes de perplexité et même d’appréhension. De longues minutes, nous restâmes plongés dans nos propres pensées, chacun à sa façon mesurant le poids de ces suppositions et leur inutilité puisque rien n’attestait qu’elles soient fondées. De temps à autre, j’observais le lieutenant de police qui retournait ses idées. Il aurait été si simple de ne pas croiser celles d’Hélène de Montbellay ! Un bon crime pour des questions d’argent, et le dossier était clos. Mais il y avait cette autre hypothèse et je mesurais aux inquiétudes et aux doutes qui grandissaient en lui combien l’homme pouvait être honnête. C’était un être rigide et intraitable parce que soldat du roi. Ce qu’il avait fait contre mon père ne comptait plus. Sa mission avait changé et il s’en acquitterait. Au prix d’une disgrâce ? D’un affrontement mortel pour sa carrière ? Je l’en pensais capable.
Penhoët fut le premier à reprendre la parole :
— Je bats les cartes dans tous les sens. Je les pose, je les étudie. Et je sais pourquoi je ne trouve pas comment avancer.
La Reynie cessa de caresser le crâne posé sur son bureau et se redressa dans son fauteuil :
— J’aurais plaisir à en entendre plus, monsieur le marquis.
— Il nous manque une carte !
— Mais laquelle ? insista le policier.
— Le fantôme. Du moins celui qui a joué ce rôle. Il pourrait nous permettre de remonter la piste. Et celle-ci nous conduirait-elle forcément à ce Marinvaud ?
— Sûrement pas. L’expérience m’a enseigné que dans les affaires de cette importance, on multipliait les intermédiaires. L’un achète le poison et un second met en scène autre
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