L'Insoumise du Roi-Soleil
haut. Je vois très bien.
— Notre homme se cache dans les greniers de l’amidonnier situé en face. Sois prudent. Il craint pour sa vie.
— Merci, Turlupin, criai-je en lui sautant au cou. Et bonne chance pour votre pièce.
— Smettila 1 ! grogna-t-il. Ne dis jamais bonne chance à un acteur qui entre sur la scène, ça apporte le malheur.
Il se pencha pour toucher du bois et se signa le front. Alors seulement, il bondit sur les tréteaux.
— Bonsoir ! hurla-t-il.
La salle lui répondit en tapant des pieds, en sifflant, en hurlant son plaisir.
— Peut-on sortir sans passer par le cabaret ? demandai-je à Pantalon.
— Cette porte au fond. Cinquante pas dans le noir, et tu seras rue Mouffetard.
Je bondissais déjà. François me retint par la manche.
— Au moins, explique-moi.
— Viens, lui dis-je, il faut trouver cet homme. Et si tout se passe comme je le pense, j’aurai de quoi obtenir le pardon de mon père.
— Hélène, attends ! C’est un coupe-gorge. Pourquoi tant d’empressement ?
Arlequin et Pantalon nous roulèrent de gros yeux. Une pièce se jouait, il convenait de se taire.
— Viens, répétai-je. Dehors, tu sauras tout.
— Et moi ? murmura Bonnefoix.
— Tu nous suis.
Sans ajouter un mot, excitée et angoissée, je filai vers la sortie. Dans la salle, le public, lui, riait aux éclats.
La lune choisit ce moment pour disparaître derrière un épais nuage, plongeant notre troupe dans un bain d’encre noire. Mon seul point de repère était un halo laiteux dans lequel je devinais la chemise blanche de François.
— Dieu du Ciel ! Sur quoi ai-je marché ?
La tache blanche se déplaça et piqua vers le sol.
— Un rat ! Et crevé... Fais attention, Hélène, il pourrait avoir la peste.
Mes pieds. Je n’y avais pas pensé. Les mains tendues vers l’avant, je concentrais mon esprit sur les obstacles qui se présentaient à hauteur de mon visage. Mais alors que je progressai d’un pas, une chose velue fila sous ma botte. Deux éclairs fendirent la nuit.
— François ! hurlai-je.
Le halo se colla à moi.
— C’est un chat. Et nous l’avons dérangé pendant son festin, lança-t-il gaiement dans l’espoir de m’apaiser.
François s’approcha encore de moi et me serra à la taille. Sa présence me rassurait. Ce n’est qu’un moment, me répétais-je en frissonnant. Un simple passage...
Le boyau n’en finissait pas. Quelle était la profondeur du Chapeau-Rouge ? Vingt pas pour la taverne. Autant pour la scène. Et il fallait compter les coulisses et les loges. Maître Faillard avait raison. Paris pullulait de coupe-gorge et mes yeux ne s’habituaient pas à l’obscurité. Je les écarquillais. Si la rue Mouffetard était éclairée, pourquoi n’apercevions-nous toujours pas sa lumière ? Un coude, bien, sûr, me raisonnai-je. Ce sombre couloir ne filait pas droit. Et nous en étions les prisonniers, coincés entre les pignons aveugles des bâtisses voisines.
— Ah ! Mordiou. Je viens de trouver un appui, grommela Bonnefoix. C’est un mur. Allons, suivez mon exemple. Avancez en vous en servant comme d’une canne d’aveugle.
Lui aussi tâtonnait dans le noir, maudissant notre expédition.
Sa main frôla la mienne et je sentis une brûlure.
— Que tiens-tu ainsi ? Une arme ?
— Non, c’est une branche d’ortie, chuchota-t-il, un remède qui fait fuir les fantômes.
Il bougonna aussi qu’on ne l’y prendrait plus. Nous éclatâmes de rire, François et moi.
— N’aie peur de rien, Jean-Baptiste, lui soufflai-je. J’ai sur moi un sifflet aux effets magiques, et n’as-tu pas vu que j’ai glissé sous ce manteau l’épée de maître Faillard ?
— Voilà bien qui m’inquiète...
Poussés dans le dos par Bonnefoix, nous nous hâtions de retrouver la rue, mais François profitait des ténèbres pour me chuchoter des mots d’amour, tandis que ses mains partaient audacieusement à l’aventure.
— Nous y sommes ! lançai-je en apercevant la fin de ce goulet sordide et les premières torches de la rue Mouffetard.
Au loin, une ombre passa. Ce chapeau, cette allure, cette silhouette. Pour la troisième fois, je crus voir une figure qui me disait quelque chose. L’apparition s’enfuit.
La main de François se ferma sur mon poignet quand je posai un pied à l’air libre.
— Je n’avancerai pas avant de savoir ce que tu as fait aujourd’hui.
— Alors, écoute-moi sans poser de question. Et conduis-moi vers le repère du
Weitere Kostenlose Bücher