L'Insoumise du Roi-Soleil
fantôme.
Jean-Baptiste se signa.
Cent pas furent à peine suffisants pour résumer ma rencontre avec le roi et notre longue conversation avec le lieutenant de police. François se tint coi comme il l’avait promis.
— C’est ici, lança-t-il sèchement alors que je terminais mon récit.
La rue était déserte. Les gens rentrés chez eux. Nous entendions les rires de ceux qui faisaient le plein des cabarets.
— Tu ne dis rien ? lui demandai-je.
— Parce que j’ai le droit de parler ? décocha-t-il sur le même ton.
— Allons, qu’y a-t-il ?
Il semblait furieux :
— Comment peux-tu te fier à La Reynie ? explosa-t-il. C’est l’être le plus fourbe de cette ville ! Plus de dix amis ont eu à connaître ses services. Ce policier use de toutes les formes du mensonge. Il promet et jure pour mieux acheter les âmes. Il négocie en jouant l’innocence et la sincérité et trahit aussitôt. Combien des nôtres sont tombés dans son piège ?
Je retrouvais chez lui l’air désespéré que j’avais découvert lors de notre première visite à Versailles. Et cette hargne à détruire La Reynie me semblait exagérée.
— Tu en parles comme si tu le connaissais, François.
Il haussa les épaules et reprit sans me répondre clairement.
— Aucun artiste ne peut ignorer ce prince de la censure. Et moi, fils du chevalier de Saint Val, comment peux-tu croire que je ne sois pas le premier espionné ?
Sa douleur revenait. François, quel mal ce policier t’avait-il fait ? Mais il secoua la tête et s’enferma dans sa douleur. Il enrageait, pestait, frappait du pied de rage.
— Il est entouré d’une engeance redoutable, cracha-t-il soudain. Les mouches ! Pouah ! Des créatures qui piquent, sucent ton sang et dont le venin t’engourdit, t’emprisonne ou te tue. Ton sort n’est pas différent de celui des autres, il s’est servi de toi pour le conduire au repère du pauvre bougre.
Il regarda dans son dos :
— Et je jurerais que ses acolytes nous épient déjà.
— Ne criez pas ! gronda Bonnefoix. C’est une armée que vous allez attirer... Et ne jurez pas non plus, ça apporte le malheur.
Il se figea, le regard pointé vers le haut de la rue Mouffetard :
— Et ceux-là, dit-il en tremblant, que veulent-ils ?
Quatre hommes, l’épée à la main, se dirigeaient vers nous. À dix pas, ils s’arrêtèrent et se concertèrent en nous désignant tour à tour. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, ils se jetèrent sur nous. Les deux premiers nous encerclèrent, bloquant notre fuite sur la droite. François tenta un mouvement, aussitôt les pointes des épées adverses le rappelèrent à l’ordre. Le message était clair, le coup de semonce ne serait pas renouvelé. Les deux autres passèrent sur le côté et, forçant la porte, s’engouffrèrent dans l’escalier qui menait au grenier de l’amidonnier. Notre trio ne put que se serrer, menacé par le pire.
— Tu vois ! enragea François. Ce sont des mouches qui viennent arrêter celui que tu espérais entendre.
— Des mouches ? ricana l’un des hommes qui nous enfermaient dans la nasse en nous menaçant de son arme. Entends-tu cela ? ajouta-t-il à l’endroit de son compère.
— Des mouches ! répéta le second. Et pourquoi pas des anges !
Tous deux éclatèrent d’un rire mauvais et glaçant.
— Vous vous trompez, monsieur de Saint Val, bégaya Bonnefoix. C’est pire, voilà des voleurs qui en veulent à notre bourse.
— Non, il s’agit de coupe-jarrets ! De mercenaires, si vous préférez.
Ces dernières paroles claquèrent comme le fouet dans le dos des deux malandrins. Ceux-ci n’eurent que le temps d’accomplir une volte-face pour voir l’ombre qui s’avançait. Cette silhouette, cette allure, ces paroles, tudieu, c’était ça, c’était lui que j’avais aperçu : Faillard, mon maître d’armes. Estimant la scène, il se dirigeait vers nous, calmement, le torse bombé, les mains posées sur les hanches. Et je le vis plus magnifique encore.
— Je vous avais prévenue, mademoiselle Hélène de Montbellay. Méfiez-vous des coupe-gorge. Au moins, pouvons-nous compter sur votre ami Damoclès ?
— Oui, monsieur, répondis-je d’une voix tremblante.
— Je lui laisse celui de gauche !
Sans plus de précaution, il fonça sur sa proie, alors que le second forban nous surveillait d’un œil. Damoclès ? Était-ce le petit courtaud qui tremblait sur ses jambes ou celui qui lançait des regards de
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