L'Insoumise du Roi-Soleil
découragement et mesurais combien je risquais de perdre tout mon crédit auprès du roi. Le visage de mon père m’apparut et, pour la première fois, je crus échouer.
— À moins que ? murmura la marquise d’une voix tendue.
Elle hésitait encore.
— Je vous en prie, madame, il faut épuiser tous nos espoirs.
— Tout à l’heure, je te parlais de ces morts comme d’une mèche qu’on avait allumée pour que parle la poudre. Oui, c’est peut-être cela, fit-elle en y réfléchissant encore. Afin que l’ultime combat s’engage, il faut un incident. Les guerres débutent souvent ainsi. Ces morts jouent ce rôle. Et c’est leur cause cachée ...
— Il convient de voir au-delà des apparences, soufflai-je, gagnée par une excitation nouvelle. Mon père me l’a écrit. Il en parlait à propos de l’Affaire des Poisons. Or, que s’est-il passé après ? Une page a commencé à se tourner. Et le roi change d’attitude. Sa dévotion se fait plus grande, Montespan perd de son influence, et c’est la fin de la paix de l’Église. Peut-on relier les faits ?
— Cela ne fait à mon sens aucun doute. Tout le monde sait que l’Affaire des Poisons a profondément marqué Louis XIV. Ce fut même pour lui comme une révélation. On décida de mettre fin aux devineresses et aux sorciers, cette débauche dont parlait la Voisin à propos des femmes de condition, cette hérésie qui empoisonnait l’entourage du Roi-Soleil. Et cela passait par un changement dans sa propre vie. J’entends encore les orateurs lui répéter que pour éradiquer le mal, il importait de donner l’exemple.
— Voir au-delà des apparences, répétai-je en bougeant les pieds.
Le chat s’en trouva dérangé et s’enfuit en fouettant l’air de sa queue. Cette nouvelle trahison réjouit sa maîtresse.
— Eh bien ! lança-t-elle d’une voix joyeuse, tentons d’appliquer ce raisonnement dans l’affaire du fantôme pour voir s’il tient.
— Dans un cas comme dans l’autre, débutai-je, on montre du doigt l’hérésie. Jansénistes, protestants ou sorciers, pour certains, c’est tout comme. On cherche à convaincre le roi de mettre fin aux désordres théologiques, aux scissions, préludes aux schismes, aux frondes, aux guerres de religion. On reparle de l’Affaire des Poisons. Tolérance et débauche vont au même pas. Aujourd’hui, c’est la foi qui est empoisonnée. On revient sans cesse sur le sujet. Bourdaloue ne disait-il pas sèchement que le roi était au service de Dieu ? On le poursuit avec ces thèses, d’autant qu’on le sent prêt à bondir sur ce projet. Hier, c’était Montespan et l’adultère ; aujourd’hui, on lui assure qu’il est temps d’unifier l’Église, de rassembler tous les Chrétiens. C’est d’autant plus aisé que lui-même le veut. Il est l’instrument de Dieu, le roi-prêtre qui mettra fin à l’hérésie.
Madame de Sévigné abandonna sa bonne humeur :
— Mon Dieu ! Si je pense aux résultats obtenus, cela signifie que nous sommes très prêts de subir de nouvelles persécutions. Jansénistes, protestants, oratoriens, eudistes... partout, j’entends qu’on s’acharne sur ceux qui ne rentrent pas dans le rang. Ces morts seraient-ils comme le signal d’une nouvelle Saint-Barthélemy ?
— Oui, l’annonce d’une guerre fomentée par le même clan, les mêmes personnes que dans l’Affaire des Poisons, ajoutai-je. Voilà pourquoi la marquise de Montespan a tant fait pour que je me jette sur cette piste.
— Elle t’a aidée à convaincre le roi ?
— Elle seule pouvait le faire, car elle seule peut le séduire...
Madame de Sévigné pinça le nez :
— C’est de moins en moins vrai. Les conversations que le roi entretient avec madame de Maintenon sont, me dit-on avec insistance, de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. Et je la crois plus intéressée qu’elle ne le montre.
La marquise de Sévigné ne fut pas tendre avec l’alliée des dévots. La fraîcheur de ses traits fit même l’objet de multiples interrogations. Certes, le teint de cette femme plus âgée que le roi et que la favorite se trouvait toujours lisse. Mais glacé, ajouta la moraliste. Sa taille fut jugée ronde et ce regard, était-il vraiment vierge de toutes les fatigues amoureuses ? La marquise doutait des vertus de l’abstinence dont elle se targuait. Ce physique agréable, qu’elle reconnaissait – non sans mal –, en avait, croyait-elle, séduit plus d’un et elle
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