L'Insoumise du Roi-Soleil

s’oppose au pape. Après, il s’agirait d’une foi sur mesure que certains appellent la passion gallicane. C’est une nouvelle église, de cela je suis sûre, où la primauté sur tout est celle du souverain.
    Comme preuve, on trouvait l’extension du droit de régale à tout le Royaume, loi imposée au Vatican, et à Innocent XI, qui permettait à Sa Majesté de percevoir les revenus des évêchés quand ceux-ci devenaient vacants.
    — Mais l’extension du pouvoir de Louis XIV sur le domaine spirituel va bien au-delà. L’Assemblée du clergé a rédigé l’an passé les Quatre Articles qui confèrent au roi de France un pouvoir extraordinaire. Sans tomber dans la leçon théologique, retiens, ma chère Hélène, que selon ce texte rédigé par Bossuet en personne, le roi n’est soumis dans les choses temporelles à aucune puissance spirituelle. Si le même texte reconnaît la plénitude du pouvoir du Saint-Siège sur les questions spirituelles, il est dit par ailleurs que le pouvoir pontifical est limité en France et que le jugement du pape n’est pas irréprochable 2 . Qui peut désormais s’opposer au roi puisqu’il est aussi le chef de l’Église de France et le représentant de Dieu ?
    Elle jeta un œil de dépit vers le tigré qui désormais accordait toute son attention à une étrangère, ignorant superbement sa mère nourricière :
    — Le roi est comme ce petit fauve que j’adore et qui me le rend peu. Il ne respecte que sa loi. Maintenant, rapproche cette position de la persécution des jansénistes et des protestants et tu comprends mieux le projet de Louis XIV. Il veut unir l’Église, mais autour de lui. Il veut, comme à Versailles, que tout tourne et revienne à lui . Et, d’une certaine façon, ce palais ne peut aller sans l’idée de l’absolutisme, y compris dans le domaine religieux. Le roi, comme le soleil, siège au centre. Il est donc le cœur d’un univers qu’il n’entend aucunement partager. Voilà pourquoi il n’acceptera aucune hérésie. Oui, il y a bien un complot avec pour sujet la religion. Et si j’ignore encore le rôle joué par un janséniste et un oratorien, tous deux ennemis des jésuites, je crains que ce ne soit comme la mèche qu’on allume pour que parle la poudre... Qui gagnera ? Les jésuites forcément. Et pourquoi ? Parce qu’ils sont les confesseurs du roi. Qu’il les entend chaque semaine. Qu’il est assommé par leurs sermons. Et tu comprends enfin comment cette affaire, ou ce complot, tournera un jour à leur avantage. Quand le roi aura mis fin à tout ce qui n’est pas de lui et quand la religion de la France sera celle de Louis XIV, il restera le confesseur qui, en s’appuyant sur le libre arbitre, dictera le Bien au roi. Ainsi, ce que notre Royaume a gagné en liberté en s’affranchissant du Vatican sera perdu par l’action de la Compagnie de Jésus qui continuera à dicter la conscience de Sa Majesté tout en rendant compte au Saint-Siège.
    La marquise soupira sans perdre de vue le royal félin :
    — Le pape a tort de s’inquiéter pour cette exception gallicane. Tant que les jésuites seront au chevet de l’âme du roi, le maître ne sera pas celui que l’on croit ou celui qui y pense. Enfin, j’ajouterai ceci : Louis XIV commet une erreur épouvantable car son système existe tant qu’il se tient au-dessus des conflits. Il a triomphé de la Fronde grâce au jeu des factions qui, en se guerroyant, se sont affaiblies. Le roi tient son pouvoir de ce rôle d’arbitre inscrit dans l’édit de Nantes. Mais s’il met fin aux différences, il tue la légitimité même de sa fonction. Hélas, je ne suis pas dans les confessions du roi. Ni pour les entendre. Ni pour le conseiller.
    Je pris un temps pour réfléchir à ce que je venais d’apprendre. C’était à la fois convaincant et inquiétant. Pourtant, une chose me gênait. Si les jésuites étaient si puissants, pourquoi auraient-ils eu besoin d’organiser la mort de leurs opposants ?
    Madame de Sévigné partageait mon avis :
    — C’est pourquoi je ne sais comment relier ces morts au complot qui, lui, est bien réel.
    — Ma théorie serait-elle fausse ?
    — Elle est vraie sur le fond. Et peut-être fausse dans ce cas précis.
    En prononçant ces paroles, elle semblait désolée et moi prête à m’effondrer. Les paroles de La Reynie me revenaient aussi. Fallait-il se rabattre sur la piste d’une affaire crapuleuse ayant trait à la Louisiane ? Je comprenais son