L'Insoumise du Roi-Soleil
niait la légende de la blanche colombe. Sévigné avait connu le vieux Scarron, mari de la Maintenon, un bossu scabreux et perclus d’infirmités. Et libidineux. Assez pour avoir transmis le goût de la licence à sa jeune épouse, consommée par la suite, et très discrètement, lors de liaisons passagères qui n’avaient marqué ni sa taille ni ses airs de vieille pucelle.
— Mais elle perdra vite sa prestance après avoir connu les effets des vertes saillies d’un souverain ardent, réclamant pas moins de trois ou quatre heures de conversation quotidienne à ses maîtresses. Oui, qu’elle se méfie de ces airs de madone. Il se pourrait que ses soupirs aient, un jour, de vraies raisons d’être.
Celle qu’elle appelait madame de Maintenant souffrait donc de tous les vices. Fausse, hypocrite, cachant son jeu, bientôt il ne resta pas grand-chose de son allure de bigote. L’esprit acéré de l’épistolière était en action :
— Les mauvais esprits la soupçonnent d’être tentée par les protestants. Mais c’est faux ! fit-elle en riant. Et quel amusement de la voir s’affoler à l’idée que le roi puisse en prendre ombrage... Cette rumeur tient au fait qu’elle est la petite-fille du poète Agrippa d’Aubigné, ami d’Henri IV, mais surtout faux noble et vrai protestant. Et je vois dans son acharnement à défendre la cause des dévots un moyen d’absoudre ce péché familial que l’on retrouve chez ses cousins huguenots. Ah ! Il lui faut aussi se défaire d’un frère mal élevé et joueur. Il perd, le bougre, et pour se redorer, sa sœur lui conseille de regarder de près les biens des émigrés. Puisqu’on les confisque, pourquoi se gêner ? Voilà pour la charité de la Belle Indienne , qu’on appelle ainsi car elle nous vient des îles. Sa mortification ? Hum ! Permets-moi d’en douter. Je la crois intéressée, calculatrice et décidée à séduire le roi. Et si, pour cela, elle doit se soumettre aux jésuites, elle le fera. Méfie-toi d’elle, Hélène. Dans cette affaire, elle pourrait être l’amie de tes ennemis...
Nous finîmes ainsi, hésitantes et inquiètes, bercées et unies par le doute et la langueur, effrayées aussi par ce que nous mettions à jour et les sombres perspectives que cela ouvrait. Qu’y avait-il de possible dans l’idée d’un complot lié à la religion ? Tout. Mais qu’y avait-il de vrai ? Des hypothèses... Alors, je n’avais rien à dire au roi !
Nous quittâmes le bureau de madame de Sévigné, cédant ce doux logis au chat tigré qui retrouva sa place près de la cheminée. Le jour avançait trop vite et je devais me préparer à une nouvelle soirée au château de Versailles. J’y retrouverais le marquis de Penhoët. Et qui sait ? La marquise avait décidé de reporter l’écriture de sa lettre. Puisqu’elle y exposait ses craintes concernant la liberté des jansénistes, il lui semblait soudainement possible que les événements prochains modifient le cours sans doute dramatique des choses. Un rebondissement ? Déjà, elle affûtait sa plume. Si l’affaire du fantôme avait un lien avec l’intolérance, elle devenait la sienne. Et si nous avions à découvrir, cette nuit, les dessous d’un complot religieux, elle voulait en être, en tant qu’épistolière et, surtout, en tant qu’amie des jansénistes.
— C’est décidé. Je t’accompagne à Versailles, lança-t-elle alors que je m’apprêtais à la quitter pour me rendre dans le petit appartement qu’elle avait mis à ma disposition au rez-de-chaussée de l’hôtel Carnavalet.
Et rien n’aurait pu la faire changer d’avis.
— J’ai trop délaissé la cour. Et je veux surtout voir et entendre le marquis de Penhoët, notre dernier espoir. Combien de temps nous reste-t-il, Hélène ?
Le jour avançait. Pensant la décourager, je répondis :
— Peut-être une heure.
Son visage se colora. Elle se tordit les mains, virevolta pour enfin revenir vers moi :
— Allons ! D’abord choisir nos apparats et enfiler notre plus belle armure... Et voilà la moitié du délai effacée. Puis, il restera la coiffure et le choix des bijoux. Mon Dieu ! C’est la guerre, Hélène ! lança-t-elle d’une voix joyeuse malgré l’anxiété qui ne nous avait pas quittées. Je t’en supplie, viens m’aider. Mon âge réclame plus d’attention que tu n’en as besoin.
Ce branle-bas de combat nous occupa assez pour que nos esprits oublient ce vers quoi nous avancions. On nous
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