L'Insoumise du Roi-Soleil

une nuit de chance, répondit à haute voix Penhoët.
    Le jeu auquel il participait, celui du Hoca, ne faisait pas appel à l’esprit. Seule la fortune intervenait dans le destin du joueur. On tirait une boule sur laquelle s’inscrivait un chiffre de un à trente. C’était le bon, on gagnait. Maître Blois aurait pu m’expliquer que, mathématiquement, le marquis de Penhoët ne disposait que d’une chance sur trente, ce qui paraissait risqué. Et mortel pour son pécule, s’il échouait.
    — Je suis ! fit un gentilhomme richement habillé. Quel chiffre choisissez-vous ?
    — Le trente, répondit Penhoët sans hésiter.
    Sa main ne trembla pas quand il tira une boule, ne quittant pas du regard celui qui le défiait. Et il ouvrit la main, indifférent à ce que le sort avait déterminé.
    — Le trente ? demanda-t-il calmement.
    Et c’était vrai.
    Une salve d’applaudissements brisa les cris rageurs du vaincu.
    — Est-ce bien le hasard ? fit enfin, mauvais, ce dernier.
    — Ce n’est que cela, répondit Penhoët, agacé d’être ainsi soupçonné. Je vous l’ai dit : la chance est avec moi. Et elle le restera toute la nuit !
    — Vous allez jouer encore ? s’émut une courtisane qui se soumettait au gagnant.
    — Non, madame, j’ai d’autres projets.
    — Quels sont-ils ? susurra-t-elle au beau marquis.
    Il répondit assez fort pour que nous entendions tous :
    — J’ai un rendez-vous qui pourrait éclaircir dès ce soir cette affaire de fantôme.
    Ignorant les curieux qui le questionnaient, il se soucia de l’infortuné.
    — Vous me devez vingt mille écus, asséna-t-il d’une voix froide.
    Et ce fut la seule marque d’intérêt qu’il concéda au perdant. Alors, il se leva et m’aperçut. Son visage s’éclaira et son regard gris oublia la dureté. Il me prit par la main et s’éloigna des tables de jeux :
    — Je suis si heureux de vous retrouver... Hélène, vous ai-je un peu manqué ?
    — J’avais hâte de voir ces yeux que voici. J’ai tant de choses à leur apprendre.
    — Et l’inverse est vrai.
    — Je vous ai entendu. Un rendez-vous ? Mais quelle imprudence ! Toute la cour est désormais au courant...
    Il fit un petit pas de côté et se mit à rire comme un jeune homme.
    — Cela s’inscrit dans mon plan. Mais cette fois, pas d’aventure, notre ami La Reynie est au courant. Pour tout dire, nous agissons de concert.
    — Expliquez-moi tout.
    — Je n’ai pas le temps. La machine est lancée et, avec ce banco, la première manche vient de se jouer. Il fallait qu’on me voie et que l’on sache. C’est fait. Je dois y aller.
    — Attendez ! Un mot, simplement...
    Il prit en compte ma supplique :
    — C’est très simple : La Reynie m’a dit pour la mort de notre fantôme. Mais je sais aussi que votre idée, ou plutôt celle de Bonnefoix, est de laisser entendre qu’il a parlé avant de mourir.
    — Et ensuite ?
    — Les mots de cet homme me guident vers un autre et j’ai rendez-vous avec lui.
    — Qui est ce nouveau témoin ?
    Il mit sa main devant ma bouche avec tendresse :
    — Chut !
    — Marquis ! S’il vous plaît...
    — Je ne dirai que ceci. C’est un peu comme si j’allais retrouver un fantôme. Une ombre, une chimère... un souffle d’air... Et si je mets la main dessus... Par pitié, Hélène, rendez-moi ma liberté. Voulez-vous que nous réussissions ? Bien. Alors tendez l’oreille, surveillez vos arrières et dites-moi bonne chance.
    — Si vous jouez la comédie, cela attire le mauvais œil.
    Il leva les mains au ciel :
    — Dans ce cas, je dirais qu’il s’agit de la fatalité.
    — Attendez ! répétai-je. Faut-il que je m’inquiète ?
    Il sourit, mais ses yeux gris-bleu retrouvèrent leur mélancolie :
    — Acceptons ce vers quoi nous guide le destin. Le vôtre est de connaître le bonheur. Moi, que me reste-t-il à découvrir ? Regardez ! J’ai gagné vingt mille écus. C’est donc un jour de bonne fortune, n’est-ce pas ?
    — Ne jouez pas avec, je vous en supplie.
    Il me prit aux épaules et se porta contre moi.
    — Il ne me manquait plus que le bonheur de savoir ce qu’éprouvait un père et vous me l’avez offert. À bientôt, Hélène.
    Il m’embrassa avec chaleur et s’éloigna lentement, marquant de son allure digne l’essence même de son âme slave.
    Je n’eus pas le temps de retrouver madame de Sévigné. À peine le marquis avait-il filé qu’un valet vint à moi :
    — Hélène de Montbellay ? Vous êtes invitée à