L'Insoumise du Roi-Soleil
parlons, le roi et moi, porte sur l’absolutisme, le rôle du monarque, le sens d’une vie, la place de Dieu. Et si nous abordons l’édit de Nantes, c’est dans les mêmes termes que ceux que j’ai employés avec vous. Poison ! Sorcière ! Fantôme ! Quand il s’agit du sort du monde... Allons, madame ! Un peu de sérieux et ne nous faites pas cet affront. D’autant que c’est vous qui en supporteriez les conséquences. Je le dis en pensant à votre père quand viendra le temps de lui pardonner ou non. Ne vous moquez pas du roi en le poussant à croire que vous le considérez comme un homme simple au raisonnement un peu court. Abandonnez madame de Montespan et ses avis tourmentés par des ambitions personnelles. Le roi est grand. Il est juste. Et c’est le Roi-Soleil. Ne l’oubliez jamais ! Maintenant, je vous laisse aller. Et je prierai pour vous, et pour que le roi vous entende.
Il se leva. L’entretien était clos.
— Puis-je ajouter quelque chose ? demanda madame de Maintenon.
Cela sembla déranger La Chaise. Craignait-il un mot de trop ?
— Je veux dire qu’il faut se méfier des avis que l’on porte sur moi. Dieu le sait (elle regarda La Chaise qui acquiesça), au roi, je ne dis que la vérité. Je lui montre quand on le trompe et ne cherche pas à le flatter. Je crois ne l’avoir jamais trahi.
François d’Aix de La Chaise se détendit. Ces paroles ? Il aurait pu les prononcer.
On se salua. On se sépara. Le piège s’était refermé. Je ne pouvais débattre que de la redoutable thèse des jésuites. Elle était solide et je n’étais pas sophiste. Un mot de trop ? J’étais condamnée. Pour expliquer au roi ce que je voulais qu’il entende – mais sans le blesser –, il m’aurait fallu procéder par approches prudentes... Agir avec circonspection. Rester à ses côtés... tout un règne ! Et je n’avais ni la condition, ni la vocation d’un confesseur.
La messe était dite ? On pouvait l’écrire ainsi.
Du moins, je le pensais.
Je n’eus guère le temps de réfléchir aux paroles de La Chaise. Je retenais en tout cas qu’il fallait me méfier. Et compter chacun de mes mots. J’admirais aussi l’intelligence de cet homme qui, en proclamant son honnêteté, se protégeait des attaques. Son sujet se situait près du Ciel et non dans les bas-fonds. Sa relation avec le roi était dénuée de perversité et, à ses alliés, comme à ses opposants, il ne cachait rien de ses convictions. Belle habileté ! Quel était le poids des affaires crapuleuses face à un projet capital où la liberté et la tolérance se trouvaient en question ? Il abattait ses cartes, faisant preuve de courage, mais, en échange, il réclamait une même hauteur de vue et embrouillait mon esprit. En somme, avec talent et perfidie, il décidait des règles. Il ne pouvait s’agir que d’un débat sur l’absolutisme qui conduisait à la tyrannie, et pour contrepouvoir, lui opposait la loi de Dieu. Si l’on ne partageait pas ce projet, il était prêt à débattre, mais en usant d’arguments supérieurs. Sa franchise se voyait donc assortie d’une condition fixée par lui : les critiques se limitaient à sa thèse. C’était une façon formidable de détourner l’affaire ou de la tourner à son avantage. Primo , il n’était plus question de parler des désordres à la cour en citant les jésuites sans leur déclarer la guerre. Secundo , affirmer que le roi pourrait être influencé par ces sujets mineurs, c’était faire preuve d’irrespect envers lui. Et, en me moquant, pouvais-je sauver mon père ? Il y avait un tertio , oublié par La Chaise : il maîtrisait ces questions mieux que personne et profitait de milliers d’heures d’intimité avec le roi où se mêlaient confession et prédication. Mais moi, de quelle carte disposais-je ? Aucune, ou presque. Une seule, en réalité, qui tenait dans la phrase de madame de Maintenon à propos du fantôme. Selon elle, cette affaire était terminée et, avait-elle ajouté, le roi en serait ravi. Il détestait ce désordre. Il fallait donc croire que le Soleil n’aimait pas cette ombre qui planait sur Versailles et qu’il y prêtait plus d’attention que La Chaise ne l’affirmait. La preuve ? Ce geste de rien pour faire taire Maintenon quand elle en avait parlé. Celui d’un directeur autoritaire en matière de conscience.
— Eh bien ?
La Reynie m’attendait. S’était-il changé ? Ses vêtements noirs, sa perruque, ses souliers, tout
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