L'Insoumise du Roi-Soleil
semblait neuf du matin. Sa fatigue ? Avait-elle seulement existé ?
— Je suis restée prudente, dis-je sans rien préciser de plus.
— Nous allons chez le roi, fit-il soulagé. Je lui dirai que tout est en ordre et que vous avez réussi ce que vous aviez promis. Trois jours pour démêler les fils.
Son regard était doux et conciliant. La mort du marquis de Penhoët devait compter pour beaucoup ; il se sentait responsable et c’était sa façon de payer sa dette.
— Laissons La Chaise s’entretenir avec le roi, car, n’en doutez pas, il a couru pour lui rendre compte de votre entretien. Nous, nous entrerons avant le Petit Lever. Bontemps, le premier valet, est prévenu. Vous disposerez d’un court moment. Maintenant, avançons.
— Comment suis-je ? lui demandai-je.
Ses yeux s’écarquillèrent. Il parut seulement découvrir que j’étais une femme.
— Très accorte, je vous l’assure, chuinta-t-il.
— Je parle de ma robe, de mes cheveux ? Et mon front ?
— Rien n’a changé depuis ma dernière inspection. Pour le teint ? Un linge parfumé fera l’affaire. Bontemps vous sauvera. Allez ! En route.
En marchant, il me livra encore quelques recommandations :
— Parlez peu. Répondez aux questions. Et restez sur ce que vous savez. C’est un crime crapuleux. Il n’y a pas d’affaire.
— Et le roi sera en somme ravi d’apprendre que le désordre a pris fin.
— C’est exactement ce qu’il veut entendre. Rien de plus.
Il s’accrocha à mon bras sans ralentir d’allure :
— Malgré la mort de Louis de Mieszko, me faites-vous toujours confiance ?
— Je sais que vous n’en êtes pas responsable et que vous la regrettez.
— Dans ce cas, s’adoucit-il, faites ce que je vous ai dit et tout se passera bien. Ensuite, je vous reconduirai à Paris. Et qui sait de quoi nous parlerons ? C’est ici.
Il ouvrit une porte. Bontemps nous attendait. La Reynie lui demanda si le roi était seul. Bontemps opina. Un peu d’eau et un linge ? Bontemps les avait déjà en main, et déjà La Reynie me les reprenait.
— C’est l’heure, dit Bontemps en s’effaçant pour nous faire entrer dans la chambre du roi.
C’était une petite pièce intime et assez mal rangée que Louis XIV utilisait avant de se rendre dans la chambre d’apparat où se déroulerait le Petit Lever, l’acte un d’une journée ordinaire et réglée. Aux premiers instants du jour, le Soleil profitait de ses derniers moments de liberté. Il était en chemise, assis sur le lit. Il lisait Le Portrait du gouverneur politique de Jean-Baptiste Madaillan. Au bruit, il abandonna sa page et leva un œil. Il sourit à son lieutenant de police. À l’inverse, il ne me montra aucune attention. Bontemps s’approcha et releva les manches de la chemise du roi. Puis, il versa de l’eau de toilette dans ses mains et commença à frictionner les bras de son maître qui, indifférent ou résigné, sondait La Reynie. Qu’avait-il à lui dire ?
— Bonjour, sire. Je vous vois reposé et de bonne santé.
— Auriez-vous perdu l’art de juger au premier regard ? La goutte, monsieur de La Reynie ! Vos espions ne vous ont donc pas informé que j’ai souffert toute la nuit ?
— Sire, j’espère soulager votre souffrance en annonçant de bonnes nouvelles.
— Mon confesseur sort à l’instant. Il m’a tout rapporté.
— Vous a-t-il dit le rôle joué par Hélène de Montbellay ?
Le roi daigna jeter un regard sur moi :
— La marquise de Montespan avait donc raison de vous faire confiance.
L’occasion me sembla trop belle. Je sautai dessus :
— On gagne à l’écouter.
À côté de moi, La Reynie secoua ses épaules. C’était sa façon de me conjurer de me taire. Le roi allait me demander pour quelle raison il fallait tenir compte de l’avis de la favorite, mais Bontemps choisit ce moment pour avancer une chemise neuve. Il détourna les yeux. La Reynie, lui, me bombarda du regard.
— Je connais toutes les opinions de madame de Montespan, reprit-il en ôtant sa chemise devant nous. Je sais ce qu’il faut en retenir. Et vous, madame ? Souhaitez-vous m’entretenir d’un sujet particulier ?
La Reynie se pétrifia sur place. Le temps d’inspirer et je devais répondre.
— Oui, sire.
Bontemps, lui-même, cessa sa friction.
— Si le marquis de Penhoët n’a pas de tombeau de famille, je souhaiterais qu’il repose à Saint Albert, chez mon père.
Le roi m’interrogea du regard.
— Rien d’autre, nous en sommes
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