L'Insoumise du Roi-Soleil
guident le roi vers la foi et la croyance en Dieu. Ils veulent qu’il aime Dieu et qu’il Le craigne. Et, en effet, qu’il se plie à sa Loi. Mais je ne pense pas que madame de Montespan vous ait expliqué ainsi notre cause tant il est vrai qu’elle n’y a pas sa place. Un roi, une loi, une foi. N’est-ce pas mieux qu’un Royaume sans foi ni loi ? Dans ce projet, ce n’est pas un clan ou un homme qui triomphe, mais Dieu qui est Amour et dont nous sommes tous les serviteurs.
Madame de Maintenon acquiesça en silence à la fin du prêche alors que son auteur reprenait sa place dans le fauteuil.
Le jour s’était levé. Avais-je un seul argument à opposer à La Chaise ? En plaçant le roi sous la coupe de Dieu, il mettait un frein à son absolutisme. Qui aurait pu être contre ces lois qui ordonnaient d’aimer son prochain comme soi-même et condamnaient la violence et la haine ? Existait-il des règles plus tolérantes ? Quel esprit se voulant sincère n’aurait pas juré qu’une loi sacrée était le meilleur contrepouvoir à la tyrannie ? Pourtant, toute mon éducation, toute la raison de mon père, et le principe même de la tolérance me poussaient à défendre l’édit de Nantes. Les paroles de la marquise de Montespan me revinrent et je compris leur justesse. Je ne pouvais gagner contre La Chaise. Battre un casuiste aussi brillant demandait des années d’apprentissage. Et malgré le vœu que j’avais formulé, il l’emportait car je ne trouvais rien à lui répondre. Mais accepter et me résoudre à la disparition de cet édit en qui l’honnête homme avait mis sa confiance ? Renier ce credo, cet acte de foi ? Pour assurer la défense d’un texte que j’estimais sacré, je n’avais aucun argument à opposer au confesseur du roi. Et ces mots que j’allais prononcer, et qui prouvaient que j’acceptais la défaite, je les ressasse encore et à l’infini :
— Vous êtes donc pour la révocation de l’édit de Nantes ? murmurai-je, abasourdie et proprement vaincue.
— Oui, répondit-il simplement, sans montrer son triomphe.
— Le roi agira donc en ce sens ?
— Je n’en sais rien, madame. C’est lui seul qui décidera, fit-il comme s’il rejoignait le camp des esprits libres.
— Mais toutes ces affaires l’influencent et agissent sur son jugement.
Il haussa les épaules :
— Les voies du Seigneur sont impénétrables. Et votre jugement comme le mien comptent autant pour le roi. Dites-lui ce que vous voulez. C’est votre liberté !
Il reprenait son air supérieur. Vers quel traquenard m’entraînait-il encore ?
— Pardonnez-moi, insistai-je. Je voudrais être certaine que vous ne voyez aucun mal à lui faire part de mon sentiment sur ces affaires qui gangrènent, selon moi, les esprits de la cour et peuvent troubler son jugement.
— Si vous le pensez, en votre âme et conscience, je ne peux vous l’interdire.
Il semblait serein. Il se redressa dans son fauteuil et croisa benoîtement les mains, sans doute assuré de sa victoire :
— Mais j’ajouterai ceci : soyez prudente, ne dites que ce qui est vrai. En somme, ne cherchez pas à tromper le roi. C’est pourquoi vous devrez peser chacun de vos mots. Vous savez désormais ce que je pense puisque je ne vous ai rien caché de mes positions. Vous connaissez aussi mes raisons et vous mesurez, à présent, leur hauteur. C’est un sujet sérieux qui demande calme, sagesse et honnêteté. Débattez du sujet en vous servant de ce que je vous ai dit, mais pas un mot de plus ! Ne me faites pas l’injure de parler des jésuites en utilisant ces affaires de bas étage, ces crimes où se joue le sort misérable de banqueroutiers et d’empoisonneurs. Oui, vous pouvez corriger mes opinions, c’est votre liberté. Mais vous ne pouvez user dans vos arguments de ce qui n’est que fabulation et mensonge. Maintenant, permettez-moi un dernier conseil. S’il vous vient l’idée incroyablement vaniteuse de parler encore au roi des affaires de la cour en y liant la question de la religion, réfléchissez finement. Et oubliez cette légèreté provinciale, proche de l’orgueil, qui vous souffle que le plus grand souverain du monde pourrait s’intéresser à ce que la frivolité d’une jeune fille croirait bon d’inventer. Ne lui laissez pas entendre que vous le supposez capable de prêter de l’importance à de misérables détails quand viendra le temps de prendre la plus grande décision de son règne. Le sujet dont nous
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