L'Insoumise du Roi-Soleil

prêté attention. Mais aussitôt, un souffle glacial me transperça.
    — Qui l’a lu ?
    — Les espions à la solde du roi dont je te parlais.
    Il avala son vin d’un trait :
    — Peu de temps avant mon départ du palais, je franchissais les grilles de Versailles quand un garde suisse m’obligea à mettre à terre. Je fus conduit auprès de La Reynie, ce redoutable officier de police dont je brossais le portrait. Tu t’en doutes, ce que j’avais écrit sur lui ne m’a pas aidé. Le contrat fut dit simplement. Le roi avait été informé. Pis, il avait lu. Sans même entendre ma thèse, et sans autre forme de procès, ce qui constitue la preuve que j’ai raison, il avait décidé pour nous deux. Puisque je critiquais l’étiquette et que je ne semblais pas l’apprécier, le roi se proposait de m’en soulager. J’avais le choix entre Charybde et Scylla : quelques mois, ou quelques années, à la Bastille pour m’attiédir les idées ou l’exil définitif à Saint Albert.
    — Ce sont des procédés dignes d’un tyran ! m’enflammai-je.
    Mon père sourit tristement :
    — Tout doux, Hélène. Ta rage réchauffe mon cœur, mais n’y pourra rien. Oui, ce sont les méthodes d’un roi dont les lettres de cachet font office de justice. Mais ces critiques me sont désormais interdites. Je dois me taire, ne plus rien faire. Je suis condamné à rester à Saint Albert. Plus de visiteurs, plus de déplacements. D’ailleurs, qui aurait le courage de me parler ou de me recevoir ? Mon futur, le voici : je vivrai, chez nous, mais emprisonné.
    Il baissa la tête et murmura la suite :
    — Tu le sais, il n’était pas question de me séparer de toi.
    Il se tourna vers Berthe :
    — Et de notre petit monde de Saint Albert. Je l’aime et il me le rend bien.
    Il souriait, mais ses yeux étaient sombres.
    — C’est tout ce qu’il restera à ton père, prince des idiots...
    — Ce n’est pas vrai ! avais-je crié en me levant d’un bond.
    — Tu as raison. Idiot, ce n’est pas assez. Je suis un criminel...
    — Pourquoi dites-vous encore cela ?
    — Je viens d’assassiner tes rêves. Le nom que tu portes est marqué à jamais. Il a suffi d’une plume, de l’utopie de croire que l’on pouvait écrire sans être espionné, et de ces quelques mots pour te condamner à l’ostracisme.
    — Versailles et la cour nous sont-ils interdits à jamais ?
    — Je le crains, Hélène. Les grilles ne seraient pas fermées, mais qui prendrait ta défense si, d’aventure, tu t’y présentais ? Les soutiens qu’il nous reste ne sont plus en cour puisqu’ils défendent, plus prudemment que moi, la même cause.
    — Elle est juste. J’agirai pour qu’elle triomphe !
    — Fougueuse et indomptable décidément, souffla-t-il. Mais tu n’y changeras rien.
    — Voulez-vous parier ?
    — Quel jeu as-tu encore inventé ?
    — Si mira me miran. Si je fais briller la lumière, je serai respecté. N’est-ce pas l’un des préceptes du Roi-Soleil que vous avez gravé dans les murs de Saint Albert ?
    — Hélène...
    — Il faut rétablir la vérité : il n’est pas d’homme plus honnête que vous.
    — Hélène, mon enfant...
    — J’obtiendrai le pardon de Louis XIV.
    — Tais-toi, je t’en supplie.
    — Rien ne me fera reculer. J’en fais le serment !
    L’AUDACE VIENT DE L’ARDEUR
    1 - Somptueuse demeure du surintendant Fouquet. Sa disgrâce et son emprisonnement ne furent pas sans rapport avec l’irritation et l’inquiétude de Louis XIV qui crut voir en Fouquet un sujet trop puissant et menaçant.
    2 - Petite pièce en vers ou composition polyphonique accompagnant un poème.
    3 - Lors des fêtes versaillaises, les participants se voyaient attribuer une devise. Celles-ci jouaient un rôle particulier pour les acteurs des spectacles, souvent des nobles qui représentaient des personnages chevaleresques et mythiques.
    4 - Ce fut vrai pour les Fêtes de l’île enchantée . Louis XIV ne donna que quelques jours à Molière pour composer le texte de la représentation du deuxième jour (voir plus loin). Seul le premier acte fut écrit en vers...
    5 - Appelé également M. le Duc.
    6 - Il s’agit de Ludovico Ariosto, dit l’Arioste, écrivain italien du XVI e siècle. Il composa Roland Furieux , Orlando furioso en italien, un poème épique et chevaleresque qui influença considérablement l’art en Europe.
    7 - Personnages de la mythologie.
    8 - Véritable nom de Molière.
    9 - Dictionnaire universel, 1690.
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