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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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nom pouvait avoir de terriblement lourd et contraignant.
    Je n’avais ni la force, ni le pouvoir, ni le sexe pour m’opposer à son nouvel état. Il s’abandonnait lentement et je crus, un moment, sombrer à sa suite dans ce même désespoir. Je ne pouvais compter sur Berthe. Encore moins sur le triste Blois, ce précepteur de malheur qui rôdait toujours, marmonnant des phrases latines où la mort dominait :
    — Abyssus abyssum invocat ...
    L’abîme appelle l’abîme.

    Si je l’avais moins détesté, j’aurais compris que ses paroles résonnaient comme un appel. Puisque sans réaction, nous allions sombrer, il voulait que les Montbellay se ressaisissent.
    — Et il se tourne vers vous. Il le demande à vous. C’est donc qu’il vous en croit capable. C’est un bel hommage et, pour un homme d’Église, comme une sorte d’acte de foi. Vous devriez prêter plus d’attention aux maximes de cette tête à tonsure.
    Celui qui s’exprimait ainsi et défendait le docte Blois s’appelait Jean-Baptiste Bonnefoix. Il était petit et rond. Ses jambes souffraient de porter un ventre gonflé. Si bien qu’elles pliaient sous la charge et s’arrondissaient comme la courbe du tonneau. C’était peut-être pourquoi on lui prêtait un faux et fâcheux penchant pour les bienfaits de l’ivresse. Pourtant, cet homme pétillant au visage jovial ne devait pas son éclatante joie de vivre à l’ébriété qu’engendre le vin. Bonnefoix estimait que le destin l’avait béni et ne perdait pas une occasion de s’en réjouir. Et plus le temps passait, plus il s’épanouissait.
    — À bientôt quarante ans, je n’ai eu à souffrir d’aucune maladie grave, ne suis ni borgne ni bossu et, si j’ai peu grandi, ma tête n’en est pas moins remplie de bons souvenirs. Grâce à eux, j’ai appris, élevant mon sort au-dessus de celui que Dieu m’a confié en m’accordant la vie. Pour tout cela, je Lui rendrai grâce éternellement.
    Sa voix était douce, ses mots pesés, et ses gestes nuancés laissaient penser que Jean-Baptiste Bonnefoix avait fréquenté un ordre ecclésiastique. Ses mains courtes et grassouillettes, croisées et posées sur son ventre, étaient taillées comme celles d’un curé ou d’un archidiacre 1 ayant renoncé aux vertus de l’abstinence. Pour celui qui le jugeait sans vraiment le connaître, cette corpulence expliquait mieux qu’un sermon combien il lui avait été difficile de ne pas céder à la chair, ce péché mortel pour un soldat de Dieu. Alors, concluait-on hâtivement, pour que cette faute redevienne vénielle, le bien-nommé Bonnefoix avait renoncé à ses vœux. Mais, en mémoire de ses égarements, il conservait l’allure du prélat.
    Un ecclésiastique défroqué ? L’accusé éclatait d’un rire que n’aurait pas renié Pantagruel. En vérité, notre bonhomme débonnaire n’avait rien du dévot.
    C’était le fils cadet de Jean Bonnefoix, un paysan de Saint Albert. Mon père l’avait pris sous sa protection, séduit dès le premier regard par ses yeux noirs, brillants comme les cailloux lustrés que charrie la Loire au printemps, et par ses cheveux bouclés puisque chez lui, de la tête aux pieds, tout était aussi courbe que son caractère.

    Jean-Baptiste avait le cœur généreux et l’esprit agile. La ruse l’emportait sur la force et la rapidité des gestes. Du moins, tout le laissait penser. Or je savais aussi que ses courtes pattes ne l’empêchaient pas de courir quand il le fallait. Bonnefoix était peut-être rond, mais pour se plier à cette figure géométrique complexe, il fallait posséder la souplesse, qualité qui ne lui faisait pas défaut.
    Jean-Baptiste Bonnefoix était l’exemple de ces êtres méritants à qui la naissance n’avait pas ouvert le chemin de la gloire terrestre. Sa condition initiale ne lui laissait pas espérer d’autre vie que celle du laboureur, semant et travaillant sa terre au rythme des saisons. Un labeur honnête, mais dont l’horizon semblait défini à jamais. Viendrait le temps de son hiver. La poussière retournerait à la poussière... Les enfants de Jean-Baptiste Bonnefoix prendraient alors sa suite et traceraient le sillon suivant. Ad vitam aeternam.
    — Cette vie, je n’en veux pas, monsieur le comte.
    Jean-Baptiste Bonnefoix atteignait pas vingt ans quand il avait prononcé ces mots en se présentant à mon père. Il savait qu’il resterait petit. Il était déjà rond, mais tout aussi déterminé.
    —

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