L'Insoumise du Roi-Soleil
morales. Rang, beauté, charme, intelligence, savoir, douceur... L’épée y met fin par une simple attaque, perçant les meilleurs esprits plus sûrement qu’un trait. Or, si vous possédez de nombreuses qualités, il vous manque une ultime clef sans laquelle le voyage à Versailles n’est que le rêve d’une jeune fille. C’est une vérité : Hélène de Montbellay n’est pas une fine lame.
Il fit mine de chercher une épée à sa taille :
— Ah ! Mais il reste, moi, le brave Jean-Baptiste Bonnefoix. Moi, je vous défendrai ! Permettez à l’intéressé, conscient de la repartie que vous allez m’asséner, de répondre sur le vif. Croyez que je donnerais ma vie contre la vôtre. Si vous pouvez compter sur moi pour vous extirper des lacis et des labyrinthes de Versailles, il est un cas où je crains de ne vous être d’aucun secours. Je ne porte pas d’épée. Je n’en ai jamais eue. Je n’en aurai jamais. Pourquoi ? Voyez ce corps ! Ajoutez-y ma maladresse et les méfaits de l’âge. Et concluez vous-même que je ne puis être votre cerbère.
Bonnefoix baissa les yeux. Il semblait désolé et ne jouait pas la comédie.
— Il n’a pas tort, intervint Berthe, qui s’était emparée du couteau. Il manque un bras. Ah ! si j’étais moins vieille...
— Et moins grosse, glissa Jean-Baptiste d’une voix éteinte.
— Que marmonnes-tu dans ta barbe ?
— J’allais dans ton sens puisque tu parles avec sagesse.
— Ce n’est pas ce que j’ai cru entendre, siffla-t-elle en faisant un pas vers lui, le couteau en avant.
— Soit ! Je suis mauvais en tout. Je ne sais pas plaider et fâche ceux que j’aime tendrement...
Il prit son air le plus malheureux :
— Achevez ce valet inutile qui ne sait ni consoler son maître ni secourir sa fille.
Le temps avait passé. La nuit avait pris possession des lieux. La flamme des bougies faiblissait. L’âtre ne rougissait plus. C’est alors qu’une voix, surgissant de l’ombre, retentit dans notre dos :
— Il est vrai qu’il ne faut pas compter sur toi pour nous sauver d’un guet-apens.
Bonnefoix fit rouler ses yeux comme si le diable le saisissait par la manche :
— Qui vient ?
— Ai-je donc tant changé en si peu de temps pour que tu ne reconnaisses plus le comte de Montbellay ?
Mon père avança lentement pour entrer dans la faible lumière. Son visage était couleur de cendre. Il portait sur les épaules un long manteau de cuir doublé de laine. Il semblait épuisé. Pourtant, il nous sourit :
— Voici donc le dernier salon où l’on philosophe ?
— Depuis quand nous écoutez-vous, mon père ?
— Jean-Baptiste Bonnefoix racontait sa rencontre avec le seigneur d’Artagnan. Et d’ailleurs, il me faut ajouter un détail.
Il s’assit à la table et se servit du vin. Sa voix me sembla plus claire. Pour la seconde fois, un pâle sourire vint réveiller ses traits.
— Tu n’as pas parlé du mousqueton, Jean-Baptiste.
— Une broutille que j’ai sans doute oubliée, bredouilla Bonnefoix. Faut-il ennuyer cette assemblée avec toutes sortes de précisions ?
— Je crois que cela éclairera la suite de mes propos.
Berthe s’approcha et posa devant mon père un beau gigot rôti et du pain. Ce fut son premier miracle.
— Le temps de préparer l’omelette, marmotta-t-elle.
Mon père lui prit la main et son geste était plein de tendresse. Puis, il porta son regard sur moi et hocha la tête plusieurs fois. Il semblait sortir d’un long sommeil. Je n’osai pas encore le questionner.
— Voici ce que Jean-Baptiste Bonnefoix ne vous a pas avoué, commença-t-il. D’Artagnan lui avait donc tendu les rênes de son cheval et...
— Je disais vrai, donc !
— Et, reprit mon père sans impatience, le mousquetaire posa deux pieds à terre pour reprendre la sangle de sa selle qui menaçait de tourner. Tout en s’affairant, il remercia l’aimable serviteur qui tenait fièrement la fougueuse monture par la bride. L’affaire devait en rester là, mais monsieur Bonnefoix qui ne peut se taire longtemps s’empressa de faire part de sa fierté à servir un personnage illustre. Le gentilhomme gascon aimait les compliments. Il s’intéressa au flatteur et, après avoir sérieusement lissé sa moustache, répondit que, devant tant d’obligeance, il lui proposait un travail. Ce qui était logique pour un valet tombé en admiration devant un fier soldat du roi. Quel est-il ? s’inquiéta soudainement l’affable Jean-Baptiste. D’un
Weitere Kostenlose Bücher