L'Insoumise du Roi-Soleil

est donc ce remède miraculeux ? murmura Bonnefoix en esquissant un nouveau signe de croix.
    — Tu as cité Moïse et tu n’as pas eu tort. Il faut l’aide des Cieux pour survivre à Versailles. Mais le renfort dont je parle est plus temporel. S’il n’ouvre pas le Nil, il écartera certains dangers.
    — Qu’est-ce donc, Seigneur ? Un philtre, un poison, une formule kabbalistique ?
    — Un simple geste, mais il peut tuer. Et ma fille l’apprendra.
    — Est-il possible qu’un seul geste puisse ôter la vie ?
    — N’est-ce pas toi qui parlais de magie et de fées en agitant le bras ?
    Jean-Baptiste regarda son bras, puis le comte de Montbellay. Et de nouveau son bras :
    — Quelle invention diabolique est née dans ce manoir ? cafouilla-t-il.
    Je venais de comprendre le projet de mon père :
    — Vous êtes un génie, Jean-Baptiste Bonnefoix ! En tentant de démontrer que notre entreprise était impossible, vous avez trouvé la solution. Votre méfiance me sert. Pour cela, je vous remercie.
    — La solution se trouve souvent dans la question, reprit mon père. N’oublie jamais ce précepte, Hélène.
    — Qu’ont-ils, ces deux-là ?
    Le regard de Jean-Baptiste allait désormais de mon père à moi, en faisant un détour par son bras. C’est finalement sur ce dernier qu’il arrêta son manège :
    — Crois-tu qu’ils soient victimes d’un envoûtement ? lui demanda-t-il comme s’il s’adressait à un être vivant.
    — Calme-toi, Jean-Baptiste ! lança mon père en éclatant de rire. Il n’y a pas de magie dans la botte des Montbellay. Car c’est à elle que nous songions, ma fille et moi.
    — La botte secrète, ajoutai-je. Tes gestes maladroits m’y ont aussi fait penser. Alors que j’étais enfant, le maître d’armes Faillard l’exécuta devant moi. Mais ce fut si rapide que je n’ai pu retenir sa leçon et malgré mes suppliques, il refusa de m’en apprendre plus.
    — Il avait des ordres, reprit mon père. Je suis le seul responsable. Désormais, il pourra te l’enseigner.
    — Permettez, intervint Bonnefoix. Vous parlez de gaucherie à propos de mon savant mouvement. Passons sur le compliment car il y a plus grave. Je doute qu’une botte secrète se fonde sur la maladresse. C’est faire injure à l’émérite maître Faillard qui a formé des bataillons de duellistes. À moins de croire que sa science consiste à conduire ses élèves très sûrement à la mort.
    — L’épée est l’art de la surprise, répondit mon père. Tous les gestes sont utiles, même les plus innocents. Tant pis pour toi si tu ne sais que chasser les mouches 8 !
    — Je fais ce que je peux ! râla l’intéressé.
    — Est-ce long à apprendre ? demandai-je pleine d’espoir.
    — Maître Faillard serait en mesure de te répondre.
    — Pourquoi ne pas l’apprendre de vous ?
    — Une botte secrète s’adapte en fonction des qualités et des défauts de chacun. Faillard t’enseignera ce qui te conviendra le mieux.
    — Confiez-moi à lui sans plus tarder. Qu’il me livre ses secrets !
    — Es-tu prête à souffrir, à travailler sans relâche ?
    — Je mettrai tous les talents que vous m’accordez au service de cette cause. Je suis rusée et patiente, disiez-vous ? Bientôt, vous verrez combien La Fontaine écrit vrai. Un faible roseau peut l’emporter sur le chêne.
    JE PLIE ET NE ROMPS PAS
    1 - Prélat responsable de l’administration d’un diocèse agissant sous l’autorité directe d’un évêque.
    2 - Nom du valet de Dom Juan. Mais cette comparaison est fausse si l’on en croit Hélène de Montbellay qui, plus haut, affirmait que son père ne ressemblait pas à ce personnage célèbre pour ses frasques.
    3 - Écrivain public et célèbre alchimiste (1330-1418). On raconte qu’il aurait trouvé le secret de la pierre philosophale dans un texte kabbalistique.
    4 - Et qui, pour finir, se fit appeler le pont Royal.
    5 - Territoire royal allant du Québec à la Louisiane.
    6 - Aujourd’hui tueurs à gage.
    7 - Ce fusil à mèche était très lourd. Il a donné son nom aux mousquetaires que l’on présente pourtant le plus souvent comme des cavaliers armés d’épée...
    8 - Parer au hasard.

IV. Une leçon d’humilité.
    Maître Faillard avait été mousquetaire de la Maison du Roi. Il avait participé à l’arrestation de Fouquet, à Nantes, en 1661, mais n’en tirait aucune fierté. Et il avait quitté son engagement dans la compagnie peu après la disparition de d’Artagnan.
    — Je