L'Insoumise du Roi-Soleil
coup de menton, d’Artagnan montra le mousquet 7 fixé à la selle de son cheval. Il fallait le détacher et le descendre. Que cela ? insista Bonnefoix. Et il promit d’exécuter sa mission. Mais en découvrant le poids de son colis en fonte, Bonnefoix maudit son empressement. Moins cependant que dans l’instant qui suivit. Surpris par la lourdeur du mousquet, il le laissa s’échapper. Et sur la botte du seigneur d’Artagnan.
— Monsieur le comte, vous m’assassinez pour de bon !
— Mon brave Jean-Baptiste, il me semble que c’est d’Artagnan qui aurait pu s’en charger.
— Mes courtes jambes m’ont sauvé.
— Ajoute que d’Artagnan boitait. Et j’ai dû te cacher jusqu’à notre départ.
Mon père éclata d’un rire franc. Bonnefoix le rejoignit aussitôt. Berthe en profita pour poser l’omelette sur la table. Il semblait que Saint Albert revivait.
— Avez-vous entendu la suite ? lui demandai-je.
Mon père but lentement son vin avant de répondre et, ce faisant, m’observa.
— Vous parliez fort. Surtout toi, Bonnefoix. Je n’ai pas manqué un mot.
— Vous connaissez donc mon projet.
Il acquiesça en silence.
— Et vous y êtes opposé.
Il attendit encore, me détaillant d’une façon nouvelle, au point que je crus qu’il me découvrait.
— Tu as changé, Hélène. Tu es devenue femme et tu es plus belle encore que ta mère. Tu n’imagines pas ma fierté et le bonheur que j’ai à me savoir ton père.
— Je me méfie de vos flatteries. Bientôt, vous parlerez de ma fragilité, comme celle de la potiche qu’on enferme dans une armoire par crainte qu’elle se casse. Au nom de votre amour, vous affirmerez vouloir me protéger en m’interdisant de mener mon aventure.
Je me levai, les larmes aux yeux, décidée à fuir dans ma chambre. Il m’attrapa par le bras :
— Peux-tu détester un père parce qu’il t’aime ?
Je restai muette.
— N’ai-je pas, jusqu’à ce jour, désiré ton bonheur ?
J’allai répondre. Il posa sa main sur mes lèvres :
— Alors, pourquoi penser que j’ai changé ?
Mon cœur se serra :
— Vous m’accorderiez ma liberté ?
— Avant, écoute-moi.
Il me prit aux épaules. Ses yeux se fixèrent aux miens.
— Tout à l’heure, Jean-Baptiste a parlé pour moi. Je ne corrigerai aucun de ses mots. Tu es belle, intelligente et tu possèdes assez de ruse pour survivre à Versailles. Tu veux m’aider ? Comment m’y opposer ? Ta décision fait de moi un père heureux, même si ma peur de te perdre se glissera dans chacun de tes pas. Souviens-toi que, dans la lettre que je t’ai adressée, je te laissais le choix. Tu as décidé de te rendre à la cour du roi. En homme qui défend l’honnêteté, je ne veux pas en discuter davantage.
— Ainsi, vous me croyez capable d’obtenir le pardon du roi ?
Il haussa lourdement les épaules :
— En te répondant non, je te découragerais. Que gagnerais-tu à m’entendre prédire ton échec ? En te disant oui, j’accompagnerai ton espoir et je resterai dans ton cœur. L’audace vient de l’ardeur, ce sont tes mots. Je les fixerai à Saint Albert... Et cet emblème, dont nous serons les seuls à connaître l’histoire, portera tes espoirs autant que les miens. Désormais, tu es libre, ma très chère fille Hélène, de commencer ta propre vie. Tu veux connaître Versailles ? Tu as ma bénédiction.
Je tombai à genoux. J’embrassai ses mains et ses joues. Je pleurai, je crois.
— Cependant, murmura-t-il, j’y mets une condition.
— Je suis d’accord ! criai-je.
— Attends. Tu n’es pas la seule à pouvoir décider.
Mon père relâcha notre étreinte pour fixer Bonnefoix.
— Je le redoutais, maugréa-t-il.
— Pouvais-tu croire à une autre issue ?
— Hélas non, monsieur le comte. Je vous connais. Depuis le début, je savais que vous n’oseriez chagriner votre fille. Mais le danger est là, droit devant. Et malgré ses immenses qualités, il lui manque un conseiller, un mentor, un berger !
— Tout simplement, un valet, dis-je.
— Seigneur Jésus, ayez pitié de moi...
— Cesse d’invoquer Dieu ! coupa mon père.
— Retourner à Versailles, et avec votre fille. C’est donc le chemin qu’Il a choisi pour moi ?
— Qui d’autre pourrait éclairer celui de la fille du comte de Montbellay ?
Sous le compliment, Jean-Baptiste Bonnefoix rougit jusqu’au front.
— Je mourrai donc en sachant qu’un homme noble m’appréciait, souffla-t-il.
— Tu es le seul
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