L'Insoumise du Roi-Soleil

Levez-vous ! Je vais vous soigner.
    Ma jambe me faisait mal et mon poignet était couvert de sang. Il me tendit un mouchoir.
    — Compressez la plaie de votre main. Dans un instant, le sang ne coulera plus. Dans quelques jours, vous n’y verrez plus rien. Montrez-moi votre joue, à présent.
    — Je souffre de la jambe. Je ne peux pas la poser.
    — Pleurnicheries de petite fille gâtée ! Je vous ai frappée au-dessus de la botte. Plus bas, je sectionnais un nerf. Là, sous le genou. Adieu le menuet ! Vous auriez boité jusqu’à votre mort. J’ai reçu cette blessure alors que j’étais jeune. Je connais ses effets. Je ne me méfiais pas. J’ai bondi comme vous. La leçon m’a servi. J’ai battu en duel dix chevaliers grâce à ce simple geste. Il faut croire que l’on apprend mieux en souffrant. Avez-vous vraiment mal ?
    — C’est encore douloureux. Mais il me semble que déjà...
    — Une piqûre de guêpe ! Oubliez-la. Au combat, vous pourrez être touchée et vous devrez continuer. De même, ne vous occupez plus de votre main. Le sang coule moins. Posez le linge sur votre jambe pendant que je regarde cette joue.
    Son examen fut rapide :
    — Je vous ai marquée sous l’oreille. À l’exact endroit que j’avais choisi. Plus bas, je vous balafrais. Vous ne garderez qu’une trace légère, cachée par vos cheveux. Il s’agira de notre secret.
    Il souriait. Sa colère, sa violence avaient disparu :
    — Avez-vous des questions ?
    J’étais épuisée et soumise :
    — D’où venait votre dague ? murmurai-je.
    — Je l’avais à la ceinture, mais dans le dos. Vous alliez avancer. Votre corps s’est tendu. Pour saisir cette lame courte, mon geste fut plus aisé que le vôtre. Plus rapide, aussi. En observant mon reflet dans les boucliers, vous auriez pu voir cette arme et ma main qui s’en emparait. Mais vous ne songiez qu’à votre victoire. Elle semblait évidente... Je vous ai poussée à agir et vous êtes tombée dans le piège. En exploitant la situation que vous avez créée, j’ai eu plus d’à-propos que vous. C’est tout le secret d’une botte réussie, et celle des Montbellay n’en recèle aucun autre que celui de cette surprise dont usa Jarnac 13 . Au combat, vous serez à la mesure, gardant vos distances. Vous attendrez. Plus votre prudence sera grande, plus l’adversaire sera en confiance. Bientôt, il voudra son assaut. Il aura hâte d’en finir. Mais vous ne penserez qu’au geste qui le saisira quand il se jettera en avant pour vous tuer. Un instant, il sera à vous et sans défense. Le toucherez-vous au bras, au jarret, au visage ? En un éclair, vous devrez décider. Il n’y a pas d’autre secret que la patience, la surprise et l’ à-propos , car la botte n’est qu’un piège dans lequel se jette votre ennemi. Et vous devrez l’imaginer au moment même où il bondira. Telle est la leçon du vieillard que je suis.

    La nuit tomba. Je fus prise de tremblements. Je serrai cette main qui me faisait mal. Les chandelles qui éclairaient la scène faiblirent une à une. Faillard entra dans le cercle et coucha les boucliers un à un.
    — Nous avons presque fini, dit-il d’une voix forte. Demain, je dirai à votre père que vous serez bientôt prête. Je vous surprendrai en concluant que vous fûtes une bonne élève. Votre caractère me plaît et vous êtes belle. Je regretterai d’apprendre votre mort. Trop de sang, trop de noms m’attendent Là-Haut. Ayez la courtoisie de m’y laisser accéder le premier... Demain, si vous n’avez pas renoncé, je vous donnerai un dernier conseil. Pour l’heure, montez dans votre chambre et reposez-vous. Surtout, ne vous plaignez pas et ne montrez pas vos blessures. Il me faudrait tuer votre fidèle Berthe pour qu’elle ne m’assomme pas. Et Bonnefoix se plaindrait auprès de votre père jusqu’à le convaincre de vous interdire ce voyage à Versailles. D’ailleurs, dit-il en grimaçant, un combattant ne doit pas exposer sa faiblesse.
    Faillard ôta sa veste de cuir puis déboutonna le haut de sa chemise.
    — Pourtant, et pour vous seulement, je ferai une exception.
    Son torse était couvert de cicatrices, stigmates des combats passés et signes des fantômes qu’il portait en lui. Il se découvrit jusqu’à montrer son épaule droite et ce geste lui fit mal. Je vis alors qu’il saignait abondamment. La plaie était profonde et récente.
    — Vous aussi, vous m’avez marqué, sourit-il faiblement.
    Le sang, contenu