L'Insoumise du Roi-Soleil
minuscules trous qu’on nomme les pores et y infesterait le sang de toutes sortes de maladies dont la plus inquiétante n’est pas moins que la vérole. On dit aussi que l’eau affaiblirait la vigueur des hommes...
Il sonda mon regard. Je restai de marbre. Il reprit :
— Les Parisiens préfèrent changer de chemise plusieurs fois par jour et, imitant le roi, se frottent le corps avec un linge sec avant de l’asperger d’une sorte d’eau parfumée.
— Seriez-vous adepte de cette coutume ?
— Je ne crois pas à ses superstitions qui amolliraient l’envie d’amour, insista-t-il. L’Église condamne les bains pour le simple fait que l’on y serait nu. Un homme, passe encore. Mais une femme, et les deux réunis ? La luxure, quel péché ! Pourtant, Louis XIV fit construire à Versailles un appartement de bains qui abrita ses amours avec madame de Montespan. Je suis comme le roi. J’aime l’eau et ses bienfaits... Et qu’en est-il pour vous ?
Ses yeux verts et doux se faisaient insistants. Il cherchait à me troubler. Pourtant, je répondis d’une voix calme :
— Si je ne connais pas d’autres moyens de rester propre, je ne désire pas goûter à ces autres usages dont vous parlez sans pudeur et que je veux ignorer. Depuis que je voyage, l’eau tiède d’un relais de poste et le cours glacé d’une rivière m’ont paru suffisants.
— Ne vous baignez surtout pas dans la Seine ! Je vous ai prévenue. Elle est empoisonnée. Il y flotte des cadavres de rats et d’hommes morts aux ventres gonflés.
— Vous ai-je menti ? claironna Bonnefoix. Cette eau est si mauvaise qu’il faut se méfier de celle que vendent les porteurs d’eau. En voici un ! Ils voiturent l’eau dans des tonneaux peints en jaune et marqués aux armes du roi et de Paris. Mais qui sait si tel ou tel n’a pas fraudé en tirant l’eau de la Seine ? Méfiance, donc... Et pour se laver les dents – ce qui est plutôt rare – on la mélange, sagement, au vinaigre. Songez qu’il n’existe au cœur de Paris qu’une seule pompe, la Samaritaine. Elle sert à éteindre les nombreux incendies qui menacent les maisons de bois et de torchis.
— Vous oubliez la pompe du pont de Notre-Dame, corrigea Saint Val.
— Ce bel ouvrage est habité par le diable, répliqua Bonnefoix. Personne ne parvient à la faire fonctionner.
— Vous avez raison, Jean-Baptiste. La science cale devant ce mystère : elle ne pompe pas. Cependant, il existe, Dieu soit loué, des solutions pour se faire propre.
Beltavolo se tourna illico vers moi :
— J’habite au premier étage d’une modeste maison de la rue Mouffetard, et si le cœur vous en dit, j’ai, non loin de chez moi, une fontaine d’eau saine. Il suffirait d’un bon feu et d’un large baquet pour...
— Non merci, monsieur de Saint Val, rétorquai-je sur le vif.
— Non merci, répéta Bonnefoix, mon mentor. Et n’insistez plus !
François de Saint Val haussa les épaules et se retourna. Il fit claquer son fouet. Les chevaux donnèrent du sabot et piétinèrent le bourbier croupissant d’un égout à l’air libre que tentaient de traverser quelques bourgeois aidés par un pontonnier, lequel, moyennant une obole, leur offrait ses services en recouvrant le cloaque putride d’une planche de bois vermoulu. Alors que les chevaux passaient gaillardement sur ce pont improvisé, la foule leva les bras et injuria ce cocher fortement discourtois.
À présent, la rue était, pour l’essentiel, envahie de marchands et d’artisans, portant sur le dos leur métier ou présentant leur attirail sur des brouettes. Le rémouleur ergotait sa place en repoussant le maraîcher à coups d’épaule, le pêcheur vantait son produit en montrant à pleines mains les prises de la nuit : des truites aux écailles brillantes, de belles et grosses carpes, des écrevisses encore vivantes passaient entre les chalands qui pesaient, estimaient, négociaient à renfort de gémissements. Le marchand de soupe, celui de vin fort et frelaté, le laitier, le porteur de bois, le boulanger hurlaient leurs boniments. La gouaille des Parisiens n’était pas une légende. Et malgré les tourments de cette ville immense, la bonne humeur éclatait dans ces altercations joyeuses, ces moqueries, ces fausses disputes portées par un étrange accent dans lequel les mots, les phrases, se raccourcissaient ou se déformaient et dont je tentais de m’imprégner.
— Eh ! M’dame... Si’ou plaît. Un’pièce ! La charité
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