L'Insoumise du Roi-Soleil
pour mon’pt’tit frère !
— Ne donnez rien à ce pauvre argotier !
— Pourquoi donc, monsieur de Saint Val ?
— Si vous donnez à un, la rue se jettera sur vous pour réclamer son pareil.
Nous allâmes à vive allure jusqu’à la Seine et passâmes trop vite sur l’île de la Cité. J’aperçus Notre-Dame. Je me promis d’y revenir. En me dévissant la tête, je vis encore le remue-ménage des quais. Logées entre deux embarcations, des lavandières crachaient en sortant le linge bouilli d’un chaudron rempli de cendres grises. Elles s’aidaient de planches de bois blanc tant la chaleur était vive. D’autres rinçaient et refroidissaient le linge dans la rivière. Chose faite, elles se mettaient à genoux pour le frapper à l’aide de leur morceau de bois. Elles juraient pour se donner du courage. Quand elles en avaient fini, elles se relevaient pour parler aux hommes forts qui, le torse dénudé, déchargeaient de leur richesse les navires accostés. Paris ne manquait pas que d’eau. Bois, blé, viande et quoi d’autre encore ? Tout puisque la ville n’avait rien. Ses habitants transformaient le sable en cristal, le fer en métal, la poussière de roche rouge en peinture. Mais ces entreprises réclamaient sans cesse qu’on les alimente de produits frais et de matières. La Seine était aussi la voie où circulaient le sang et l’argent qui faisaient battre le cœur de Paris.
— Pourquoi aller si vite, monsieur de Saint Val ?
— La Seine est pire que la cour des Miracles. Le Châtelet que nous rejoignons n’est pas mieux. On l’appelle le quartier de la grande misère. Dans chaque ruelle, on trouve un coupe-bourse débarqué d’un de ces navires dont certains viennent de nos plus lointaines colonies.
— Ce garçon me plaît, gloussa Bonnefoix. Plus le temps passe, plus je le trouve sage.
— Puisque tu sembles tout savoir sur Paris, que faudrait-il craindre du Marais ?
Beltavolo répondit le premier :
— Ah ! Ce n’est plus la même chose. On y trouve les plus beaux hôtels, les gens les plus fins, les esprits les plus éclairés. On y tient salon. On se moque de la cour et de ses oisifs. On parle, on apprend. C’est le foyer du savoir... Ici, vous ne craignez rien. Velantur mollia Duris , répéta-t-il. Cet adage convient aussi à Paris : sous des dehors ardus, sa douceur est cachée. Et bientôt, nous atteindrons son cœur.
— Enfin de bonnes nouvelles, soupirai-je.
— Et voilà que mon opinion change encore sur ce garçon, bougonna Bonnefoix.
— Un homme honnête, et vous l’êtes, Jean-Baptiste, ne peut disconvenir que le quartier du Marais est le centre du monde !
Mon excitation grandissait :
— Soyez plus précis, monsieur le comédien. Racontez-moi des choses réelles... Sinon, faites-moi rêver.
Il tira sur ses rênes et mit ses chevaux au pas.
— Il faut, sans doute, commencer par l’hôtel de la marquise de Rambouillet. Il se situe rue Saint-Thomas du Louvre. Depuis la mort de Catherine de Rambouillet, il ne connaît plus les splendeurs de ses débuts. Mais il imprima une façon de vivre et de penser qui depuis ne s’est jamais éteinte. Si le Marais est aujourd’hui le cœur des arts du monde, c’est grâce au salon de la marquise de Rambouillet.
— Racontez-moi encore...
— La marquise, que Malherbe surnomma l’incomparable Arthenice 4 , recevait dans sa chambre bleue. Dépassant les querelles, s’y retrouvaient Richelieu, le duc de la Rochefoucauld et le duc d’Enghien, qui n’était pas encore le grand Condé.
— Les rancœurs de la Fronde n’opposaient pas ces grands seigneurs ?
— Non, et rien ne semblait pouvoir briser l’élan de liberté qui ouvrait les esprits. Tout était prétexte à rire. Un jour, on fit entendre à un invité qu’il avait été empoisonné. Il avait tant gonflé qu’il ne parvenait pas à entrer dans ses vêtements. On négligea de lui dire que, pendant son sommeil, on les avait retaillés... Le pauvre prit peur. Mais imaginez la frayeur quand l’on découvrit qu’un farceur avait introduit des ours dans l’hôtel de la marquise ! À peine finissait-on de se moquer qu’un jeu de société débutait. Souvent, il s’agissait de la Chasse à l’Amour. Le vainqueur devait deviner ce que dissimulait le regard d’une femme.
Beltavolo sonda le mien. Bonnefoix toussa. Le narrateur reprit :
— Mais ces divertissements n’étaient qu’un prétexte pour se réunir autour de sujets passionnants. On y
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