L'Insoumise du Roi-Soleil
parlait d’art, de poésie, de musique. Les assauts littéraires se multipliaient, chacun rivalisant pour obtenir un sourire d’admiration. Voiture 5 et Corneille y lisaient leurs poèmes. Bossuet y fit quant à lui des sermons ! Il s’y tint une querelle grammaticale à propos de car , que certains voulaient remplacer par pour ce que . L’affaire fit grand bruit. L’Académie s’en mêla. On vit aussi de belles envolées des idées. Les débats tournaient beaucoup autour de l’amour. On débattit sur la question de savoir si le mariage était compatible avec l’amour, ou du rôle de la beauté dans la naissance de l’amour...
Beltavolo s’interrompit de nouveau. Il ne me quittait plus des yeux.
— D’où vous vient ce savoir, monsieur de Saint Val ?
— Ma famille connut le salon de la marquise de Rambouillet...
Son regard s’éteignit à nouveau. Un instant. Un mince instant.
— Mais surtout, je suis comédien ! reprit-il gaiement. L’art est toute ma vie. Et je connais ses mécènes. L’art m’a tout enseigné et, désormais, je lui ai tout confié.
Le doute avait pris fin aussi vite qu’il était venu. Il retrouvait sa joie de vivre :
— La mort de Voiture, reprit-il, celle de la marquise et les effets effroyables de la Fronde eurent raison du salon de l’hôtel de Rambouillet. Mais de brillants esprits plus jeunes en avaient assez appris pour prendre la suite... Madeleine de Scudéry en fit partie. Je reconnais qu’elle fixa les règles de la préciosité dont profita le langage, mais son talent n’est rien à côté de l’immense et de la plus formidable des femmes, madame de Sévigné !
Bonnefoix se gratta la gorge. Je ne pus retenir un sourire. Beltavolo se méprit :
— Votre visage s’éclaire. C’est donc que son nom ne vous est pas inconnu ?
— Dites-moi ce qu’il faut en savoir ?
— La vie nous a offert la plus grande épistolaire de ce siècle. Elle rayonne. Non. Le monde rayonne avec elle. Et bien plus que le Soleil, rugit-il.
— Méfiez-vous, monsieur de Saint Val. L’accusation est lourde. Qui vous dit que je suis d’accord avec ces idées frondeuses ?
— Ce n’est pas votre père qui me contredira, souffla-t-il.
Tout mon corps se tendit :
— Encore de nouvelles choses que vous savez ?
— Des bruits courent à Paris. Du moins, bien plus qu’à Versailles où la sévérité a pris la place de la liberté et des arts depuis que le roi accorde moins ses faveurs à madame de Montespan. Les esprits critiques n’ignorent pas que la tolérance fait les frais de cette politique imposée par le parti dévot qui tourne autour du Soleil. Les comédiens vivent les mêmes dangers. Rassurez-vous. Ils chérissent la liberté. Elle a pour eux les yeux de l’amour. Seriez-vous d’un avis contraire ?
— J’aime être libre, en effet, répondis-je prudemment.
Il tira sur les rênes. Le carrosse s’arrêta.
— Et votre cœur l’est aussi ?
Jean-Baptiste se leva d’un bond :
— Ah ! Monsieur de Saint Val, le coup est trop direct ! Je vois votre comédie... Bien que valet, je n’ignore rien de Molière et de son Dom Juan.
— Je vous connais depuis ce matin, mais je vous apprécie déjà, Bonnefoix. Cela m’autorise à vous dire que vous méconnaissez encore beaucoup de choses sur moi. Aussi, ne portez pas jugement hâtif.
— Votre manège est clair !
— Vous me condamnez sans que je puisse présenter ma défense. Cette méthode vaut celle des lettres de cachet dont Pierre de Montbellay, comte de Saint Albert et père de votre protégée, Hélène de Montbellay, fut victime voilà peu.
Ces derniers mots dominèrent le tapage de la rue et résonnèrent comme le tonnerre. Qui était cet homme que soudain je trouvais bien trop séduisant ? De qui, comment, d’où détenait-il ses informations et pourquoi s’était-il attaché si vite à nous ? Au fond, qui était Beltavolo ?
— Je crains fort que nous ne puissions poursuivre plus avant, dis-je, d’un ton brutalement glacial. Conduisez, maintenant. Et au plus vite !
Ses mains ne bougèrent que pour poser les rênes et actionner le frein.
— Hélène, votre réaction me surprend. Qu’ai-je dit qui puisse vous nuire ? Songez-vous à moi comme à un ennemi ?
Sa voix se voulait douce. Je fis claquer la mienne :
— Monsieur, je m’interroge sur celui qui se cache derrière le masque du comédien. Je ne sais rien de lui. Et ses manières ajoutent à la confusion. Elles me forcent donc à tout
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