L'Insoumise du Roi-Soleil
trajet secret : Venise, Marseille et la route du Midi jusqu’à Paris. La porte Saint-Jacques étant un passage idéal pour le négoce qui ne paye pas l’impôt, il doit revendre sa rapine au nez et à la barbe des espions de La Reynie.
— Comment l’avez-vous appris, puisque vous n’êtes à son service que depuis ce matin, s’enquit alors le prudent Bonnefoix ?
— Il a reçu un chargement aujourd’hui. Connaissez-vous l’arôme envoûtant du café ? Nous en buvions chez mon père et je n’ai pas oublié l’entêtement qu’il procure. Les sacs sont entassés dans la cave. Ma curiosité et mon nez m’ont conduit jusqu’à ce trésor. Mais son parfum est si fort qu’il faut le dissimuler, car une mouche, attirée par l’odeur, peut jaillir. Et voilà que vous vous présentez comme deux d’entre elles !
— Ce comédien me donne des idées, bondit Bonnefoix. Préparez l’attelage. Je vais conclure notre négociation avec l’aubergiste...
François de Saint Val était perché sur le siège du cocher. Nous étions installés derrière lui, dans un carrosse sans toit qui semblait à bout de souffle. Rien ne nous séparait de lui, pourtant il hurla afin de couvrir le grincement des roues qui s’accordait au cliquetis des fers des deux chevaux tirant sur leur brancard :
— Pas une livre, dites-vous ?
— Rien ! se félicita Bonnefoix. Il n’a pas voulu de notre argent. Ce qui est un faible sacrifice si j’en juge à l’état de cet attelage.
— Qu’as-tu raconté, Jean-Baptiste, pour qu’il nous salue encore alors que nous partions ?
— Et me supplie de vous traiter comme des seigneurs ? continua François de Saint Val.
— Je me suis servi des indications de monsieur Beltavolo pour négocier au mieux nos intérêts.
Il lissa sa veste, ménageant son effet.
— Vas-tu t’expliquer !
— Eh ! Depuis que nous allons avec un comédien, je joue, moi aussi. Mais votre patience sera récompensée. Prêtez l’oreille à ce qui suit : je déliais ma bourse et l’aubergiste captivé s’approchait quand, retenant mon geste, je lui dis que des bruits couraient sur la porte Saint-Jacques à propos d’un commerce crapuleux de plantes aromatiques et orientales. Il devint pâle et se mit à transpirer. Faisant mine de ne pas voir son trouble, je lui demandai s’il avait entendu quelques rumeurs à ce sujet. Il écarquilla les yeux, recula et se tamponna le front. Rien, murmura-t-il... C’est étrange, répondis-je en fronçant les deux sourcils. Puis, l’assurant de ma confiance, je l’invitai à recueillir d’utiles nouvelles dont il devrait me confier la primeur lors de notre retour qui pouvait se produire demain, comme dans un jour lointain. Pouvait-on prévoir où le vent conduirait le vol des mouches ? Il trembla. Je pris soin de ne pas le torturer davantage. Bien au contraire, je lui demandai s’il se sentait honoré de devenir auxiliaire du lieutenant de police. Forcé, il me remercia... Alors seulement, j’en vins à parler argent. À combien se montait un service entre futurs associés ? Il remua la tête et, pour finir, la rage au cœur, repoussa tout paiement.
— Pas une livre ? répéta notre cocher.
— Ce sera autant de plus pour vous, monsieur Beltavolo !
— Appelez-moi Saint Val ou mieux encore, François !
— Monsieur de Saint Val, procédez de même avec moi.
— Serrons-nous la main, Jean-Baptiste.
— Soit, mais reprenez vos rênes ! Ne voyez-vous pas cette femme qui se jette sous le pas de vos chevaux ? Ah ! Paris est une ville bien dangereuse... Et ses odeurs me brûlent les poumons.
Nous venions de laisser la Sorbonne sur notre droite et descendions vers la Seine. Le carrosse gémissait comme si sa carcasse allait rendre l’âme.
— Cette carriole est aussi vieille que celles que l’on louait voilà cinquante ans ! tempêta François.
— Prions et confions notre salut à ce bon saint Fiacre, pleurnicha Jean-Baptiste.
Beltavolo lui lança un regard moqueur :
— Saint Fiacre est le protecteur des jardiniers ! Ce n’est pas lui qui nous viendra en aide...
— Mes os sont rompus. Ma tête bourdonne et je ne comprends plus rien. Un fiacre ! C’est bien ainsi que l’on appelle ce que vous conduisez de manière si osée ?
— L’attelage tire son nom de l’hôtel Saint-Fiacre situé rue Saint-Martin. C’est là que Nicolas Sauvage, facteur des coches d’Amiens, avait installé les carrosses qui remplaçaient la chaise à porteurs. Par la
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