L'Insoumise du Roi-Soleil
imaginer. Et, voyez-vous, j’ai le pire en tête. Alors que vous négociez vos confessions, je n’ai pas peur d’affirmer que je vous sens capable de me trahir. Si c’était le cas, je vous invite à n’en tirer aucune gloire. S’en prendre aux Montbellay, et à mon père en particulier, est, en effet, une attitude assez répandue et très quelconque comme vous semblez si bien le savoir.
— Vous vous trompez. Je hais ce qu’on a fait à votre père, répondit-il sobrement. J’aime la liberté et je défends sa cause.
Jean-Baptiste, qui se tordait depuis peu sur son siège, finit par perdre patience :
— À la fin, dites ce que vous savez à mademoiselle de Montbellay !
Il hésita peut-être. Et cela, sans doute, donna plus de poids à ses paroles :
— Ce Paris que vous appréciez peu, Jean-Baptiste Bonnefoix, regorge de poètes pamphlétaires qui, comme moi, souffrent des persécutions du lieutenant de police La Reynie, chasseur d’écrivains, quand il faudrait nettoyer la ville de son crottin. Je lis. J’écoute mes amis, versificateurs révoltés. Je sais que pour une lettre, le libertin Pierre de Montbellay fut condamné à l’exil, et je vous admire d’affronter ces lieux qui vous ont fait tant de mal. Je ne veux pas savoir ce qui vous conduit ici. J’admire, je vous l’ai dit, pour ce que je vous reconnais dans mon propre combat. M’en voulez-vous de vous l’avoir avoué ?
Cette question s’adressait à moi.
— Avant de décider, il faut, vous aussi, me parler franchement. De quoi souffrez-vous ?
— Je suis le plus heureux des hommes ! Je suis Beltavolo, fameux comédien de la Commedia dell’Arte ! Et je ne joue pas en vous disant que ce jour sera, peut-être, le plus beau de ma vie. Cocher et guide, quel beau rôle !
Il s’échappait par une pirouette. Si je voulais qu’il parle, je devais le séduire et tout en luttant contre l’attirance que je sentais grandir en moi, je me pliai à cet exercice :
— Vous jouez, en effet, fis-je doucement, mais votre regard vous trahit. Parfois, il s’assombrit et la tristesse semble forte. Vos yeux deviennent gris, et je vous le dis, si vous voulez me plaire, je préfère quand ils sont verts, comme ils l’étaient à ce moment, clairs et limpides. Mais comment savoir s’il s’agit du véritable reflet de votre âme ? Mon père que vous citiez, m’apprit, alors que j’étais enfant, que si l’on ne peut rien cacher de ses sentiments, il faut choisir l’honnêteté. Montrez-vous aimable puisque c’est ainsi que l’on devient amis. Et pour cela, prouvez-moi que vos yeux ne me mentent pas.
La faconde du comédien tomba soudainement. Beltavolo n’existait plus.
— Si je veux gagner votre estime, je vous dois la vérité, sans doute ? répliqua-t-il froidement.
— L’estime, c’est peut-être ainsi que débute une belle histoire, dis-je pour désamorcer sa brusque raideur. Alors, dites-moi pourquoi je pourrais vous l’accorder...
Derrière nous, un muletier réclamait le passage. François de Saint Val réveilla son attelage et le poussa au pas jusqu’à un étroit goulet oublié par la foule et son agitation. Non sans adresse il se faufila dans une encoignure guère plus grande que le carrosse. Il lâcha de nouveau les rênes. Les chevaux apaisés et dociles ne bougèrent pas. Il se tourna sur son siège de sorte qu’il me faisait face. Un rien nous séparait. Il releva ses cheveux bouclés et ainsi dégagea son front. Ses yeux s’adoucirent – peut-être trop habilement – et la tempête intérieure sembla se calmer. Alors son cœur livra un peu de ses secrets, et le mien l’écouta.
— Je suis le fils aîné du chevalier Étienne de Saint Val, lieutenant général des armées navales de Sa Majesté. Je vous ai avoué ma passion pour le théâtre. Celle de mon père se confond avec le cliquetis des armes, l’odeur de la poudre, la clameur qui monte au moment de l’assaut, la barbarie qui l’accompagne... Et la vue du sang, peut-être. Car cet homme aime la guerre à la folie. Pour lui, il ne peut y avoir d’autre vie que d’armer un navire et d’écraser les ennemis du roi de France. Dès lors, et comme une évidence, le fils aîné du chevalier de Saint Val ne pouvait être que soldat. Sans discuter, je devais prendre sa suite, commander et mourir, fauché par un boulet espagnol. Moi, je voulais, je désirais le théâtre, et mes rêves d’enfant tenaient sur un tréteau. Molière était mon maître, je
Weitere Kostenlose Bücher