L'Insoumise du Roi-Soleil
l’égoïsme d’un père, qui se vengeait en punissant un fils de son audace, et par le pouvoir d’un roi, je fus écarté, tel un banni, malgré les protestations de mes amis comédiens. En janvier 1681, ils s’associèrent selon l’usage éternel du théâtre pour ne former qu’un et devinrent les Comédiens-Français. Mais moi, fils du chevalier de Saint Val, le pouvoir m’avait jugé indigne d’eux.
— Bien au contraire ! Vous l’étiez trop pour certains, m’exclamai-je avec trop de fougue pour ne pas m’avouer que j’étais de nouveau séduite par Beltavolo.
— Ce n’est pas ce que l’on retiendra ! J’ai échoué, voilà tout...
— Que faites-vous de la Commedia dell’Arte ? glissai-je doucement. On ne peut vous enlever cela. Ainsi, vous vivez selon vos choix.
Il baissa les yeux :
— J’y ai trouvé refuge, mais c’est un exil. Et vous n’en soupçonnez pas le prix !
Le poids de ce fardeau semblait trop lourd pour lui. Quels secrets cachait encore ce regard tendre et fragile ? Pour finir, il se contenta de cet aveu, mais cela ne suffisait pas pour expliquer son drame :
— Pensez, je joue la farce quand j’entends que l’on applaudit mes amis comédiens interprétant Racine, Corneille, Molière...
Il y avait autre chose et je voulus savoir. Mais ce n’était plus par peur d’un hypothétique danger. J’étais curieuse, attirée et – pourquoi aurais-je dû me le cacher ? – François de Saint Val me captivait.
— N’avez-vous pas cherché à revoir votre père pour infléchir son jugement ? Il vous aime, forcément, et verra dans vos yeux combien vous souffrez. Il se décidera à entendre son fils. Un père n’est-il pas fait pour cela ?
Il avança une main jusqu’à effleurer mon visage, mais ne le toucha pas. Ses doigts flottèrent sur mes cheveux, descendirent sur mon front et glissèrent sur mes yeux. Sa main tremblait et, peut-être pour cela, elle se posa enfin sur ma peau. Moi aussi, je frissonnai. Et au cœur de Paris, mon cœur s’attendrit davantage, quand il me parla :
— Votre beauté n’est rien si on oublie votre douceur. L’alchimie vous vient-elle de ce que vous avez vécu ? La tendresse d’un père et d’une mère, sans doute...
— Ma mère est morte alors que j’étais enfant.
Il se mordit les lèvres et s’écarta :
— Pardonnez-moi. Je ne voulais pas vous faire souffrir...
— Voici la preuve que vous ne savez pas tout, fis-je en souriant tendrement.
— Mais je peux deviner, reprit-il en se rapprochant de nouveau.
Sa main se posa sur la mienne et je ne fis rien pour l’ôter. Bonnefoix bougea sur son siège et détourna le regard.
— Votre bonheur d’enfant fut si grand, reprit François, que vous n’imaginez pas qu’il puisse en être autrement. Si je croisais mon père, nous devrions nous battre. Et l’un des deux mourrait.
Je fis un bond en arrière :
— Comment imaginer de telles extrémités !
— Ce n’est pas moi qui tirerais le premier. Et, je crois vous l’avoir dit, l’épée de Beltavolo est en bois. Je mourrais et la farce tournerait à la tragédie. C’est un sujet pour Racine et comme les aime le roi ! Une pièce dont j’aurais pu être l’acteur à la Comédie-Française, mais que je n’interpréterai jamais car je ne ferai rien pour revoir ce père qui m’a détesté. Ainsi, je reste pour toujours dans mon rôle, celui du cocher !
La colère brillait dans ses yeux. Je fis le premier geste :
— Velantur mollia Duris . Cet adage est aussi le vôtre, François. Sous des dehors ardus, votre douceur est cachée. Et nous connaissons des injustices comparables...
— Est-ce pourquoi nous sommes là, et je le crois si proches ?
— Dans mon histoire, il n’y a pas de tragédie. Il s’agit de l’honneur d’un père.
— Ce thème aurait séduit Corneille et j’aurais aimé jouer dans cette pièce. Mais, par la faute d’un père, Beltavolo ne se montre que dans les farces !
— L’honneur ! N’est-ce pas un rôle destiné à monsieur de Saint Val ?
Il sursauta en entendant son nom :
— On ne me parle plus ainsi...
— Beltavolo pourrait tomber le masque. Pour sauver l’honneur de mon père, qui sait si je n’aurai pas besoin de celui qui se cache derrière ?
— Quel étrange destin pour moi qui suis la victime d’un autre.
Il hésita encore avant d’ajouter :
— L’envie de vous servir me séduit plus que vous ne l’imaginez. Mais que puis-je faire ? Et pour quelle raison me
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