L'Insoumise du Roi-Soleil
à la cour. Tu ne connais pas ? Parfait. Et alors tu me raconteras votre arrivée. Ensuite, nous choisirons ce qu’il faut écrire à ton père sans qu’il ne s’inquiète. Es-tu de mon avis ?
Je sautai dans ses bras. Elle m’embrassa tendrement. Nous étions déjà amies.
— Tout le monde vient au Marais ou dans ses faubourgs ! lança avec passion madame de Sévigné. Racine, Boileau, La Rochefoucauld se réunissaient voilà peu chez Guillaume de Lamoignon, le président du Parlement de Paris. Son salon se tenait chaque lundi, je m’en souviens, ajouta-t-elle, en posant sa tasse de chocolat. Corneille logea chez le duc de Guise. Et n’oublions pas Molière, ce géant ! et encore Blaise Pascal...
— Et où cela nous conduit-il ?
— À la question du départ, répondit prestement la marquise. Pourquoi affronter Versailles ? Tu ne rencontreras à la cour que de faux sentiments dont le dessein premier sera de te nuire.
— Alors qu’en restant dans le Marais, je croiserai les esprits de ce siècle ?
— Te voilà enfin raisonnable !
— Je devine surtout dans ce propos l’influence de Pierre de Montbellay. Auriez-vous, l’un et l’autre, signé un pacte pour m’empêcher d’agir ? Votre rôle est-il de m’influencer puisque je n’ai pas capitulé devant mon père ? Pardonnez-moi, mais cette fronde n’aura aucun effet sur moi...
— Hélène, nous parlons pour ton bien, glissa-t-elle dans l’espoir d’apaiser le courroux qu’elle avait senti monter en moi.
— Comme lui, vous plaidez la prudence. Mais je suis venue pour agir.
— Il faut t’accommoder aux usages de la cour, insista-t-elle.
— Et il me faudrait user mon temps en dissertant, avec esprit, dans les salons de vos amis les moralistes ? Trop peu pour moi ! Le Marais, c’est promis, plus tard, j’en ferai le tour...
— Tu songes déjà à partir ?
Le visage de madame de Sévigné s’assombrit d’un coup.
— Non, ce n’est pas cela, mais ma démarche ne souffre pas d’attente : je dois aller à Versailles. Et si les plus grands vivent dans le Marais, aucun ne s’y cantonne, n’est-ce pas ? Vous-même, n’allez-vous jamais à la cour ?
Elle ne répondit pas.
— Qui peut négliger le roi et Versailles ? Personne, pas même la veuve Scarron qui, en quittant le Marais, redevint Françoise d’Aubigné avant d’endosser les habits de madame de Maintenon. Nierez-vous qu’en se rapprochant du Soleil, les esprits qui règnent sur le Marais n’y ont rien gagné ?
La marquise soupira :
— Ton père m’avait prévenue. Sa fille raisonne...
— Je ne suis pas fermée à de nouveaux avis.
— M’aurais-tu seulement entendue ?
— Sur le chocolat, ma réponse est oui ! C’est si bon...
— N’en abuse pas. Ses vertus digestives sont connues, mais il allume parfois une fièvre qui peut conduire à la mort...
— Pourtant, vous en avez repris trois fois.
— Hélas ! Mais il faudrait mettre fin à cette gourmandise.
Elle s’empara aussitôt d’une petite boîte en porcelaine délicatement peinte de scènes animalières.
— Elles racontent la fable du Loup et de l’Agneau . Et l’un se fait croquer ! C’est pourquoi j’y ai mis ceci...
Elle ouvrit la boîte, remplie de petites choses sombres à l’aspect peu ragoûtant.
— Je les achète chez maître Chaillou qui tient commerce à Paris depuis que le roi l’y a autorisé.
— Qu’est-ce donc ?
— Du chocolat en boudin à l’espagnole. Celui-ci est à croquer. Il faut y goûter !
Elle se servit la première, glissant le morceau tout entier dans sa bouche. Puis elle ferma les yeux. Elle mâchait délicatement. Cela semblait meilleur que tout...
— Je paye cette folie une fortune. C’est à cause du monopole du Trésor Royal. Dès que l’affaire est bonne, l’impôt s’en empare. C’est fait depuis l’an passé. Le chocolat est trop bon ! Mais bientôt, il faudra se serrer. Ma taille m’en conjure... Prends. Pour toi, il est encore temps.
Je pris une des choses , non sans méfiance. J’en mis un petit bout sur la langue. Le chocolat fondit. L’impression fut délicieuse. J’avalai le reste d’un coup et tendis à nouveau la main vers la boîte à gourmandise.
— Pas trop ! fit-elle. Une de mes amies vient de mettre au monde un fils dont la peau est très sombre. Or, pendant sa grossesse, elle a mangé sans respirer ce fameux chocolat.
— Est-ce possible ? m’étonnai-je, en écartant prestement ma main de cette boîte qui
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