L'Insoumise du Roi-Soleil
cette pièce. Lire ou écrire quand la lumière du jour succomberait à l’attirance de la nuit, malgré la belle fenêtre qui profitait des derniers rayons du soleil.
Les tapis servaient toujours de guide. Ils engageaient à découvrir la suite. La marquise me fit signe d’avancer. Nos pas silencieux s’enfoncèrent dans l’épaisseur de la laine.
— Ah ! voilà de quoi je suis fière. J’ai fait aménager une authentique salle de bains.
Du sol au plafond, la pièce était décorée de carreaux de porcelaine tirant sur les teintes du bleu, et brillant comme le plus parfait des miroirs. Profitant du moindre mouvement d’air, la flamme de six immenses chandeliers de cristal mettait en mouvement les saynètes peintes sur les petits carreaux. Le thème général était l’eau et l’imagination de l’artiste n’avait pas été bridée. Il n’était pas question de vierges, surprises nues, au bord de l’onde, par un satyre – cela ne correspondait pas au goût de la moraliste –, mais d’une leçon de choses sur le cheminement de l’eau, qui descendait du ciel pour se rendre à la mer. Logiquement, le plafond symbolisait la voûte céleste dans toutes ses déclinaisons. L’éther limpide et azuréen succédait à l’orage et aux nuages nourriciers. Le courant s’écoulait par autant de rivières que comptait la Création avant d’achever sa course dans le monde de Poséidon. Celui-ci était représenté, muni de son trident, au-dessus de la bassine qui servait aux bains, et qui me semblait en marbre.
— À Paris, on nomme cet objet une baignoire, se moqua la marquise.
— Je le sais ! mentis-je en rougissant de honte.
À Saint Albert, nous n’usions que d’un bac en ferraille, installé dans le recoin le plus reculé des cuisines et surveillé de près par l’impitoyable Berthe. Quand je m’y glissais, notre cuisinière se faisait cerbère et lavandière. L’eau chauffait, et moi, je me déshabillais. Alors, quiconque aurait franchi le seuil de notre salle de bains se serait vu récompensé par un seau d’eau brûlante. Et je n’avais rien à craindre. L’œil de Berthe était assez aiguisé pour repérer un faune lubrique à dix lieues à la ronde...
— Vois-tu ce cordon ? Tu tires et cela sonne. Aussitôt, Louise arrive. Tire fort et à plusieurs reprises, toutefois, car Louise a l’âge du bon Sébastien et les deux ne souffrent pas que de la mémoire. Tu as faim ? Tire encore. On viendra par cet escalier à vis 2 . Ici tu es chez toi, Hélène. L’eau chauffe en cuisine le matin. Il t’en faut pour le bain ? Fais de même. Mais au fait, crois-tu comme certains que l’eau est mauvaise pour le corps ?
— Malgré tous les dangers dont on me parle depuis ce matin à propos de ce don du Ciel, je ne renoncerai pas à en user pour me frotter la peau !
— Parfait ! L’eau d’ici vient, en effet, de la pluie, et Paris n’en manque pas ! Le linge se trouve dans ces placards. J’y fais placer de la lavande si bien qu’aux pires jours de pluie, quand l’eau vient en abondance, tu te croirais au pays du soleil ! Ah ! je crois qu’il serait bon de chauffer cette cheminée.
Elle tira sur le cordon. Elle s’amusait.
— Que fait Sébastien ?
— Sans doute compare-t-il ses souvenirs avec Jean-Baptiste.
— Crois-tu qu’ils fêtent leurs retrouvailles à la cuisine ?
Madame de Sévigné éclata de rire et sonna de plus belle. Sa voix et ses gestes étaient aussi légers que ses lettres.
En tirant sur le cordon, les manches de sa robe se relevèrent, découvrant des attaches délicates. Pourquoi une femme encore si belle ne vivait-elle que pour sa fille ? Soudain, elle interrompit son geste, contempla ses mains et se mit à les frotter l’une contre l’autre. Puis reprit son examen et sembla insatisfaite.
— Voilà qui n’est guère mieux !
Elle me montra alors ses doigts. Ils étaient couverts d’encre.
— Tu m’as surprise alors que j’écrivais, et pas à n’importe qui ! Son nom ? Aide-moi. Il est beau, intelligent, mais peu sage. Il vit non loin de Saumur et...
— Mon père ! Il s’agit de lui ?
— Que dirais-tu si nous finissions cette lettre à deux ?
— J’ai tant de choses à lui raconter. Figurez-vous que ce matin j’ai rencontré un jeune comédien. Beltavolo ! Mais ce n’est pas vraiment son nom. Et...
— Hélène, m’interrompit-elle. Voilà ce que nous allons faire. Tu vas t’installer. Ensuite, nous boirons ce chocolat qui plaît tant
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