L'Insoumise du Roi-Soleil
scène l’histoire de nymphes lascives et de demi-dieux dénudés. Les statues se parlaient et se répondaient, rivalisant de grâce et de séduction. Le temps avait mordoré la pierre, arrondi et tanné le travail de l’artiste, si bien que la courbe d’un sein, le galbe d’une cuisse, le dessin d’une épaule s’offraient aux regards avec plus de réalité. Plus elles vieilliraient plus elles deviendraient belles, ce qui était le propre d’un véritable miracle.
Séduite par ce spectacle, j’avais ralenti mon pas et Jean-Baptiste fit de même. Se méprenant, le valet se précipita sur lui et voulut se saisir de nos bagages.
— À votre service, mais je me crois plus fort que vous, riposta Bonnefoix en refusant son aide. Dites-moi, n’aviez-vous pas plus de cheveux que cela auparavant ?
— Comment le savez-vous ? s’étonna le valet, figé comme le marbre.
— Vous êtes Sébastien.
— C’est moi, en effet... C’est donc que nous nous connaissons.
Il explora le passé en se grattant la tête. Soudain, son regard s’illumina :
— Jean-Baptiste Bonnefoix ! Je vous reconnais. C’était il y a longtemps. Allons bon ! Je ne me souviens plus quand ? Ah ! Nous sommes si heureux de votre venue. Entrez.
Cette fois, il renaissait. Le porche fut enfin fermé. François de Saint Val était resté dehors. Je n’avais su lui dire s’il devait partir.
— Je vous attends, avait-il décidé.
— Cela risque d’être long, avait rétorqué Jean-Baptiste en le toisant de haut.
Sébastien, le vieux valet, ne faisait qu’un pas à chaque phrase. Si bien que le parcours fut plus lent que prévu.
— Je suis impardonnable. J’ai connu votre mère à un âge qui vous est proche. Au premier regard, j’aurais dû savoir qui vous étiez... Vous lui ressemblez tant.
— Serait-elle venue ici, Sébastien ?
Il s’arrêta de nouveau, cherchant dans sa mémoire :
— Non, puisque nous ne sommes installés que depuis peu. Était-ce quand nous demeurions place Royale 1 ?
Il ferma les yeux. Nous patientâmes.
— Non, répéta-t-il, car il faut remonter le temps de près de quarante ans et vous êtes loin d’atteindre ce compte. La marquise n’était qu’une enfant. Nous logions à l’hôtel de Coulanges construit par le grand-père de madame la marquise. Je venais d’entrer au service de ce grand homme, duelliste s’il en est ! Quand je pense qu’il se mesura dix-huit fois sans jamais que son bras ne tremble. Pour finir, il mourut à la chasse. Paix à son âme.
Jean-Baptiste se signa. Sébastien rouvrit les yeux. Son visage ridé s’adoucit :
— Madame a en effet vu le jour place Royale, dans l’hôtel de Coulanges. Quels lieux magnifiques ! Par la volonté du roi Henri IV, l’ancien marché à chevaux avait été transformé en un pays de rêve... Nous y fûmes heureux. Hélas, la disparition du père de madame, mort courageusement au siège de La Rochelle, nous obligea à nous installer dans une dépendance de l’hôtel de Coulanges, chez un oncle et une tante. Alors, j’ai suivi cette enfant qui avait un peu plus de dix ans... Depuis, je suis resté à son service.
Il ferma encore les yeux :
— Si ce n’est pas là que j’ai vu votre mère, où cela peut-il être ? Ah ! Maudite mémoire... Croyez-vous que ce fut quand nous vécûmes rue des Lions-Saint-Paul, là où naquit madame de Grignan, la fille de madame la marquise ?
Il fit un pas :
— À moins que votre chère maman ne nous ait rendu visite rue du Parc-Royal où nous dûmes nous exiler un temps, par peur de la variole ?
Puis un autre pas :
— Nous avons tant voyagé dans le Marais que je suis épuisé... Les souvenirs se mélangent, mais je me souviens encore de la maison de la rue des Trois-Pavillons. Pourtant, je n’y vois toujours pas votre mère. Alors quoi ? Et où ?
— Je crois savoir, glissa Jean-Baptiste.
Le vieux Sébastien interrompit sa marche hésitante :
— Ah ! Dites-moi, s’il vous plaît...
— J’étais présent puisque je suis au service du comte de Saint Albert depuis de longues années. C’était au château du Buron, à Vigneux-de-Bretagne, non loin de Nantes. Vous y étiez aussi et je peux préciser l’année : 1663 ! Un mariage, je crois, avait réuni les branches de cette belle famille. Mademoiselle Hélène venait de naître. C’était au printemps et le soleil brillait tant, que...
— Vous vous trompez, monsieur Bonnefoix, lança une voix inconnue. C’était en 1664. L’été
Weitere Kostenlose Bücher