L'Insoumise du Roi-Soleil
cocher.
— Un peu court comme interprétation, et ma tenue est élimée... mais je m’en contenterai s’il me faut comprendre que nous nous reverrons.
— Demain, dix heures. Ici.
— J’ai eu le temps de penser à notre prochaine promenade, ajouta-t-il joyeusement. S’il fait beau, nous irons au village de Montmartre pour y boire du vin et...
— Oubliez vos projets.
De nouveau, il se renfrogna :
— J’ai aussi pris mon temps pour réfléchir à vous. Mes sentiments se partagent entre l’adoration et la fureur. Et là, c’est plutôt la seconde qui l’emporte. Vous n’en faites vraiment qu’à votre tête.
— Mais c’est la vôtre qui nous conduira.
— Ces chevaux auront-ils le privilège de savoir où ?
— Versailles.
— Versailles ? ! Mais c’est impossible : le carrosse tombe en ruine, de plus, je n’ai pas d’habits...
— C’est exactement ce qu’il nous faut. Je vous expliquerai.
— Dix heures, dites-vous ?, gémit Beltavolo d’un ton moins forcé.
— Soyez précis.
— Serons-nous seuls ?
— Vous aurez le plaisir de retrouver votre ami Jean-Baptiste Bonnefoix.
— Je m’en doutais ! enragea François.
— Et moi, qu’en dites-vous ? Seriez-vous fâché de me retrouver si tôt ? Et dire que je mourrais d’impatience d’entendre votre opinion...
— Parlez-vous sincèrement ?
— N’êtes-vous pas comédien ? taquinai-je encore.
— Si fait.
— Alors, vous reconnaîtrez si je joue. Bonsoir, monsieur de Saint Val.
— Bonsoir, Hélène, sembla-t-il se résigner.
Mais aussitôt, il lâcha les rênes et revint à la charge :
— Encore une phrase, et promis, je vous libère. Cette rencontre... Puis, vous... Comment le présenter ? Il me semble vous chercher depuis si longtemps et en vous revoyant, maintenant... Tout mon être... Ah ! L’affaire est délicate. Il faudrait me lancer. Je le dois. Voyez-vous, avant je ne vous connaissais pas et...
Il dodelinait de la tête de façon délicieuse, cherchant amèrement ses phrases, hésitant, malheureux, et comme paralysé par le poids de ses émotions :
— J’y ai réfléchi pendant des heures en contemplant les étoiles. Je vous ai vue mille fois en rêve. Je vous parlais si simplement... Mes idées, je les tenais et je pouvais les réciter par cœur. Maintenant, je vous contemple, et c’est si difficile... Car en vous avouant tout, j’ai peur de vous perdre.
Il redressa le torse, se raidit et déglutit plusieurs fois. Son visage devint blanc, sa voix se mit à trembler :
— Hélène, croyez-vous au coup de foudre ?
Bien sûr que oui ! Sinon, comment expliquer cette boule de feu qui me tenaillait et ne cessait de grandir, de grandir, alors que ces derniers mots – coup de foudre – y produisaient un doux ravage ?
— Sauvez-vous, François ! répondis-je en tentant de cacher mon bonheur. Réfléchissez encore puisqu’il ne s’est rien produit d’irréparable. Demain, vous aurez tout le temps de me dire qu’il ne s’agit pas de calembredaines dictées par la nuit...
Résigné, il fit claquer ses rênes. Les chevaux n’attendaient que ce geste pour se lancer à l’assaut de l’obscurité.
Alors que le carrosse s’effaçait, il s’était retourné. Qu’avait-il hurlé ?
— Hélène, merci...
Et puis quoi ?
— Je vous ai dit la vérité !
Pourquoi craignait-il autant que je pense le contraire ? Chez moi, s’il s’agissait d’amour, ce sentiment nouveau et merveilleux ne produisait pas ces incertitudes. Mais il est vrai que je ne portais le poids d’aucun secret. François de Saint Val avait-il une autre vie, d’autres attaches, d’autres mystères ? Un instant, la boule de feu se transforma en plomb. Et ce poids douloureux m’aida à comprendre la sincérité de ces émotions.
La même nuit, j’avais ressassé les confidences de la marquise de Sévigné qui m’avaient tant occupée avant de retrouver François. Fallait-il croire la moraliste ?
— N’écarquille pas les yeux, Hélène, disait-elle. Cet effet naïf est désastreux.
Elle achevait de m’apprendre ce qu’elle craignait de la cour et de Versailles.
— Votre thèse à propos de l’Affaire des Poisons en est la cause, me défendis-je.
— Ton air éberlué n’y changera rien. Je maintiens ce que j’ai dit.
— Vous défendez madame de Montespan. Voilà la source de mon étonnement.
— Détrompe-toi. Je ne prends pas parti. J’ai étudié cette affaire attentivement pour tromper l’ennui de ma fille
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