L'Insoumise du Roi-Soleil
pouvoir. Ce qui débouche naturellement sur le rôle du roi. L’une aime la lumière, quand l’autre lui préfère l’ombre. Voilà plus qu’une manière de vivre : une façon de la penser et de la régir.
— Je comprends que deux personnalités s’affrontent et que le roi va choisir. Mais en quoi sa décision agirait-elle sur le Royaume ?
— Les deux femmes sont rivales, mais surtout très différentes. Leur affrontement va au-delà de l’amour. Je viens de te le dire, la question porte sur la façon même de concevoir la vie. Maintenon se plaît dans la dévotion quand Montespan songe à l’art et au plaisir. Maintenon ne supporte pas les fenêtres ouvertes ; Montespan les ouvre pour faire entrer l’air... L’une ne tolère que les existences exemplaires ; l’autre a choisi la tolérance et applique ce précepte autant à elle qu’aux autres.
— Vous dressez un tableau flatteur de madame de Montespan.
J’avais gardé en tête la triste Affaire des Poisons et, dans ma naïveté, je voyais Françoise Athénaïs de Montespan en fidèle alliée des ensorceleuses...
— Ses excès passés et présents lui nuisent et j’en condamne certains, mais son attitude l’oblige à œuvrer dans le camp de l’indulgence. Et, dans l’intimité, elle incite le roi à en faire autant. Quel bénéfice en tirons-nous ? Un peu plus de tolérance. Or je ne connais rien de plus utile. En veux-tu un exemple ? Plus Montespan est proche du roi, plus ce dernier se fait à l’indulgence et plus la liberté religieuse y gagne. Ainsi, nous avons vécu pendant quelques années une foi apaisée. Les protestants et les jansénistes en ont profité. Qu’en sera-t-il si Maintenon la dévote triomphe ?
— Comment croire qu’une favorite ait autant d’influence ? m’étonnai-je.
— Leur puissance vient de ceux qu’elles représentent. Car chacune d’elles est, à son tour, la favorite d’un parti que tout oppose... Et les deux agissent dans l’ombre pour le triomphe de leur cause. Les paris sont ouverts. Maintenon triomphera-t-elle ? Je n’en suis pas certaine. Mais c’est une question de jours ou de mois. Il demeure qu’en annonçant sa préférence, le roi élira plus qu’une simple favorite. Alors, s’agira-t-il du clan de l’intolérance dont ton père est la victime ?
La marquise de Sévigné reprit un chocolat en boudin à l’espagnole. Elle mâcha en silence et déglutit délicatement. Un soupir d’aise s’ensuivit :
— Maintenon ou Montespan, ce sujet te concerne dans la mesure où tu es ici pour venir en aide à ton père. Il te faut donc choisir le camp qui défendra au mieux ses intérêts. Crois-tu, innocente Hélène, que tout soit simple à la cour ? Le chemin qui mène au roi est labyrinthique. Tes amis seront-ils seulement les ennemis de tes ennemis ?
Elle me tendit la boîte en porcelaine :
— Déguste à nouveau, et fais-le lentement. Il te faut encore apprendre avant de te jeter sur Versailles.
Neuf heures avaient sonné à la pendule du salon quand je vins à sortir de l’hôtel Carnavalet. Dehors, le carrosse patientait. Dessus, il y avait François de Saint Val. Le pauvre garçon reposait sur le siège du cocher, entortillé dans une couverture poussiéreuse et tachée qui devait appartenir à ses compagnons d’infortune, les deux paisibles chevaux.
— Sommeillez-vous ?
Il sursauta si fort qu’il faillit tomber sur le côté. La manœuvre fut radicale : les chevaux s’extirpèrent de leur torpeur, piaffèrent et tapèrent du sabot. Le carrosse tangua et il fallut tirer sur les rênes pour que ce drôle d’attelage retrouve son calme.
— Je veillais d’un œil, bougonna-t-il.
— Mais vous dormiez de l’autre.
Il ouvrit alors les deux :
— Quelle heure est-il ? Mais il fait nuit ! Est-il possible de me faire attendre si longtemps.
Le jeune homme frissonna :
— Je crois que je vais mourir de froid. Ou de faim, c’est au choix...
— Je sais ce qui vous réchauffera.
Il descendait déjà du carrosse.
— Non, restez ! Vous repartez.
— Déjà ? gémit-il.
— À l’instant, vous vous plaigniez d’avoir trop attendu...
— Ne jouez pas avec mon humeur !
— Jouer ? N’est-ce pas votre métier ?
— Sans doute, mais j’ai promis de vous venir en aide. Or, je ronge mon frein dans les coulisses.
— Eh bien ! Je vous propose d’entrer en scène dès demain. J’ai un rôle pour vous...
— Quel est-il ? glissa-t-il entre ses dents.
— Celui de
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