L'Insoumise du Roi-Soleil
Françoise Marguerite qui souffrait d’avoir quitté Paris pour suivre le comte de Grignan en Provence. Afin de connaître la vérité, elle ne pouvait pas compter sur la servilité de la Gazette de France ou du Mercure . Alors, j’ai mené mon enquête. Je n’ai fait qu’observer, puisque c’était mon rôle...
— Et vous concluez que l’Affaire des Poisons est une manipulation pour évincer la marquise de Montespan ?
— Sois précise, Hélène. Je la crois moins coupable qu’on ne l’a prétendu. Et je me suis demandé qui avait voulu lui nuire.
— Vous laissez entendre que le dessein n’était pas tant d’écarter la favorite que de placer la prochaine.
— Mes mots exacts sont les suivants : depuis cette affaire, la Montespan a perdu de son charme. Elle demeure à Versailles, mais son influence s’amoindrit. Le roi se tourne vers madame de Maintenon. C’est une amitié, prétend-on. Mais elle prend un tour nouveau depuis l’Affaire des Poisons. On me rapporte qu’ils se voient chaque jour. Est-ce seulement pour parler de l’éducation des bâtards de la Montespan ? Le temps de Sa Majesté est trop compté pour que cela soit vraisemblable. Je pense en vérité qu’il cherche comme un refuge après la tempête.
— Le roi devient sage et madame de Montespan ne l’était pas assez. Voilà tout.
— Ne sois pas aussi catégorique, aussi simpliste même, jeune débutante. Et réfléchis : n’a-t-on pas cherché plutôt à l’en convaincre ?
— Vous pensez que l’on a fabriqué l’Affaire des Poisons, accusant Montespan d’un crime qu’elle n’a pas commis, pour l’inciter à s’écarter d’elle ? C’est à mon sens faire peu de cas du caractère royal.
Madame de Sévigné se saisit d’un chocolat et l’avala tout cru. Elle semblait ravie de ma réaction :
— Et pourtant, n’étais-tu pas la première à soupçonner Montespan des pires crimes ? Sais-tu combien ont pensé comme toi ? Crois-tu que ce roi pourtant autoritaire puisse se dispenser totalement du sentiment de ses sujets ? Montespan a été suspectée, or, le soupçon ne va pas avec le caractère royal dont tu parlais. Voilà qui a suffi pour qu’elle soit écartée.
Elle regarda la boîte à chocolat, soupira, renonça à y plonger la main :
— Je m’en tiens aux faits. Un crime – et c’en est un si la marquise de Montespan a été accusée à tort – se fonde sur un mobile. Pourquoi désirait-on l’éloigner ? Plus encore, existe-t-il un lien entre sa disgrâce et le rapprochement de Maintenon ?
— De simples hypothèses... Des questions sans réponse.
— Je te l’accorde. Aussi, et néanmoins, je te conjure de les garder pour toi.
Plus tard, nous nous étions quittées. J’avais rejoint cette chambre douillette où j’espérais trouver le repos. Mais en fermant les yeux, les hypothèses de la marquise de Sévigné continuèrent de tournoyer. Malgré les réserves que j’avais manifestées, ses arguments me troublaient. S’ajoutaient la découverte de Paris et la rencontre de François de Saint Val. Si bien que je ne pus m’endormir.
Je finis alors par me relever. Il fallait ordonner mes idées, démêler mes émotions de ce que m’avait appris la marquise. Dans le petit salon, la plume, l’encre et le papier m’attendaient. Pour ne rien oublier, je me mis au travail.
On trouvait, au départ, le lieutenant de police La Reynie. Nommé par le roi, il ne rendait compte qu’à lui. Comme me l’avait expliqué Jean-Baptiste, sa mission consistait à purger Paris, que n’aimait pas Sa Majesté, de ses désordres. On imagina, hâtivement, que son rôle se limiterait aux tripailles, aux filles de joie et à la cour des Miracles, et il y avait à faire. Mais cet ancien magistrat se voyait tiraillé par d’autres ambitions. Il rêvait d’unifier la police de la ville, tenue par de multiples autorités. Poursuivi par les mouches, sur le point d’être arrêté, le fugitif trouvait un refuge dans l’abbaye de Saint-Germain ou dans le chapitre Notre-Dame. La justice ecclésiastique y agissait en maître. « Adieu, monsieur de La Reynie ! criait l’aigrefin. Votre loi s’arrête ici. » Aux conflits de territorialité s’ajoutait une question de pouvoir. Le Parlement de Paris tenait au sien, et le Châtelet, la Prévôté de la cité, tout autant. Dans ces conditions, comment veiller sur les pamphlets, les imprimeries, les libraires, les livres, les journaux hollandais qui attaquaient le roi
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