L'Insoumise du Roi-Soleil
sujet plus accablant. Chaque jour, nous parvenaient de terribles déconvenues et rebondissements. Une armée de sorcières, d’empoisonneurs, de faiseuses d’anges fut arrêtée. On les tortura, ils parlèrent. La Reynie triompha. Mais, voyant qu’ils étaient perdus, les accusés passés à la question se vengèrent en livrant le nom de ceux pour lesquels ils œuvraient. Leurs témoignages devinrent gênants. Les révélations de Marie Bosse, de la Voisin, de son complice Lesage firent plus d’effet qu’une tornade. Les personnes de condition se transformèrent en gens de qualité . Parmi eux, on trouvait la comtesse de Soissons, née Olympe Mancini, le maréchal de Luxembourg ou la duchesse de Bouillon, tous accusés d’avoir usé de la poudre à succession ou de fréquenter les démons. Racine fut lui-même soupçonné d’avoir occis une actrice, madame Du Parc, au seul fait qu’elle était sa maîtresse.
Pour comble de malheur, avait encore expliqué madame de Sévigné, le roi s’était décidé à mettre en place un tribunal spécial chargé de traiter cette affaire. Et il tint, du moins au début, à ce que le procès fût honnête. Une justice exemplaire à la gloire d’un roi exemplaire ? L’intention se voulait noble. Dès lors, la Chambre de l’Arsenal, à qui l’on donna le nom de Chambre Ardente, ne put cacher le nom des suspects. Leur révélation agit comme une traînée de poudre dont les artificiers étaient les sorciers supposés de ces grands personnages.
Les accusés accusaient. Mais avaient-ils des preuves ? Ils répondirent que dans le monde satanique, on jurait plus que l’on signait des lettres. Fallait-il croire sur parole ces gens amoraux ? Au mieux, la source était infestée . Se méfia-t-on de ces témoins discutables ? La Reynie, qui dirigeait l’enquête, passa sur les erreurs, les simples supputations, les délations infondées. Il était tentant, facile et « intéressant » en effet de prendre pour argent comptant les médisances abjectes, mais spectaculaires, qui se multipliaient. On apprit que pour jeter un sort, on perçait d’aiguilles les figurines des victimes. Qu’on les brûlait ensuite en invoquant le diable. Qu’on pouvait aussi parler à ce dernier en glissant un message dans une boule mystérieuse qui, jetée dans le feu, explosait et partait dans les entrailles de la terre avant de revenir plus tard avec une réponse. Qu’on lisait les Évangiles sur la tête. Qu’on organisait sur commande des messes noires. Qu’on fabriquait des poudres d’amour et de succession... Et surtout que ce commerce de l’occulte rapportait gros.
Des dates, des faits ? En vérité, je m’en rendais désormais compte, rien de précis. Une chose s’avérait certaine toutefois. Plus les prisonniers daubaient, plus ils avaient gagné du temps. Plus ils délivraient de noms, plus ils avaient espéré se mettre à l’abri. Car plus on citait de nobles, et moins la justice pouvait l’être. Au bout du compte, l’accusation se révélait souvent vide, mais au moins elle avait frappé l’imaginaire. Le poison du sorcier infecta bien des gens honnêtes. Ce procès eut pour mérite de mettre hors de cause la duchesse de Bouillon et le maréchal de Luxembourg, mais il y eut, cependant, des cas plus délicats. Celui d’Olympe Mancini accrédita ainsi la thèse d’une affaire d’État et mit fin d’un coup à l’idée d’un procès exemplaire.
Olympe était la sœur de Marie Mancini, un amour ancien du roi. Or sa passion s’exerçait surtout dans un sens. Marie avait été folle mordue du jeune Louis. Jusqu’à quel point l’expression semblait-elle juste ? Il restait une histoire, et une complicité avec Mancini – qui comptait Mazarin dans sa famille. Est-ce pour cette raison, ou par peur du scandale, que le roi alerta Olympe Mancini que son nom était prononcé par la Voisin et son complice Lesage ? Dans la soirée du 23 janvier 1680, le beau-frère d’Olympe se jeta sur elle alors qu’elle pariait gros dans un salon de jeux. Le roi voulait qu’elle quitte Paris et la France. Elle fuit. Faute d’accusée, le procès se termina immédiatement. La Fontaine aurait pu écrire que la justice valait moins qu’une lettre de cachet. Mais le désordre avait pris fin, et ce que le roi veut...
J’appris encore qu’on crut tourner la page quand, soudain, apparut un coup de théâtre. Au procès des gens sans importance qui se poursuivait, les empoisonneurs savaient
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