L'Insoumise du Roi-Soleil
en bons « devineurs » que le bûcher représentait leur plus probable avenir. Aussi, pour gagner du temps, d’autres noms surgirent-ils soudainement. Cette fois, il s’agissait de la comtesse de Vivonne, belle-sœur de Montespan, et de madame Des Œillets, une femme de chambre proche de la favorite du roi qui se flattait de ne l’être pas moins du Soleil. Avait-elle eu une liaison éphémère avec Louis XIV ? On le clabaudait. Elle-même parla d’un enfant né de cette passade. En tout cas, l’affaire virait en défaveur du souverain. On le frôlait, on évoquait ses mœurs. Où était donc le portrait du roi Très-Chrétien qu’il aimait mettre en avant, dans ce bal des succubes et autres bacchanales des mondes parallèles ?
Marie, la fille de la Voisin, se présenta à son tour devant la Chambre Ardente. Ce qu’elle confia fit frémir l’assistance. Les juges eurent en effet droit aux plus sombres détails de la vie d’une sorcière. On prit soin de se faire expliquer les principes d’une concoction élaborée pour tuer. On apprit les méthodes des faiseuses d’anges. On obtint le nom des victimes. Ce ne fut pas assez. Entra alors l’abbé Guibourg, ancien vicaire d’Issy et de Vannes, qui parla de ses pratiques immondes. Il avoua avoir profané des hosties consacrées et des objets du culte, récité les Saintes Écritures à l’envers, pratiqué des messes noires, le ventre de femmes dénudées lui servant d’autel. Pis encore, il admit qu’il égorgeait des enfants... Mais pour qui ? hurla la Chambre Ardente. Le nom de madame Des Œillets tomba dans l’effroi général et éclata comme un coup de tonnerre. Car derrière elle, Montespan, la favorite du roi, apparaissait...
La Reynie fut lui-même déconcerté . Ce n’était plus l’Affaire des Poisons, mais celle du roi. Tout était en train d’échapper à tous. Pour éteindre le feu, il ne restait que les lettres de cachet. Et ce que le roi veut... Du coup, la Chambre Ardente fut dissoute. On exécuta des empoisonneurs. On enferma les autres dans les forteresses sombres du Royaume. Et l’on fit semblant d’oublier l’Affaire des Poisons.
Madame de Montespan avait-elle fait fabriquer des philtres d’amour pour flatter l’ardeur de son amant royal ? Avait-elle offert son corps, sa vie, son âme lors de messes noires afin de conserver les faveurs du même ? À ces funestes diableries, fallait-il ajouter l’incroyable l’accusation d’avoir tenté d’empoisonner Louis XIV ? Cette question brûlante, comme les autres, resta sans réponse. Pourtant, elle méritait que l’on s’y arrête. Tuer le roi ! La manœuvre épouvantable consistait, selon les dires des sorciers, à saupoudrer d’un poison mortel un placet destiné au souverain. Ce stratagème était d’autant plus cynique qu’il s’appuyait sur la bienveillance innocente de ce dernier. Celui-ci, en effet, prenait en main les lettres de doléances que ses sujets lui faisaient parvenir, les lisait et parfois décidait. En glissant du poison dans l’un de ces placets, le criminel était certain d’atteindre et de tuer sa proie. Un simple contact avec la peau devait suffire. Qu’on brûle l’esprit malsain qui avait imaginé ce régicide ! Oui, mais qui ? Madame Des Œillets, parce qu’on la soupçonnait d’être la donneuse d’ordre ? Il fallait chercher ailleurs, plus haut. Qui avait armé son bras, qui était l’instigatrice, qui avait osé ? Le nom de Montespan brûlait sur toutes les lèvres, mais rien ne fut prouvé. Les témoignages des uns et des autres sur cet aspect de l’affaire s’évanouirent 3 . Mais il restait la rumeur, le pire des poisons.
Il n’y a pas de fumée sans feu, affirme un dicton. En 1680, il s’agissait plutôt d’une brume ténébreuse, étouffante. Qui se posa sur le royaume telle une chape et y demeura.
— Le doute gagna les esprits, m’avait encore confié madame de Sévigné, et de cette potion-ci, on ne réchappe pas. Il tue lentement, mais sûrement. Ainsi, l’Affaire des Poisons ne produisit, peut-être, qu’une seule et vraie victime : la marquise de Montespan...
— Vous plaidez son innocence ? avais-je poursuivi.
Elle haussait les épaules :
— Je la crois assez extravagante pour avoir éprouvé l’effet d’un philtre d’amour sur le roi. Cette décision s’apparente selon moi à un geste désespéré, inspiré par la peur de ne plus plaire. Ce n’est rien de plus qu’un onguent dont se sert une
Weitere Kostenlose Bücher