L'Insoumise du Roi-Soleil

maîtresse pour se faire aimer. Montespan est encore belle, mais le poids des années et des grossesses se fait sentir. La vigueur attachante du roi pour sa favorite aurait-elle connu quelques signes de lassitude ? Exerça-t-il sa passion dans les bras d’une autre ? C’est certain ! L’a-t-elle supplié de la rejoindre dans l’appartement des bains construit pour leurs amours, et lui s’est-il refusé ? Une fois, deux fois... Elle connaît cet homme dont les saillies sont légendaires. Mais voilà qu’on glisse à son oreille qu’un philtre peut avoir raison de toutes les fatigues, même celles du cœur. Des Œillets est, peut-être, sa conseillère. Elle s’acoquine avec un chimiste dont elle est sûre. Sa mission sera secrète. D’un rien, on fait une grande affaire. D’un philtre, on passe au poison. Pour moi, il est impossible qu’elle ait voulu tuer le roi.
    — Sur quoi se fonde votre certitude ?
    — Retiens cela : pour tout crime, il faut un mobile. Or la marquise n’en a pas.
    — La jalousie, n’en est-il pas un ?
    Madame de Sévigné avait éclaté de rire :
    — Mon Dieu ! Tant d’innocence ! Mais tu n’es pas dans un conte pour enfants, Hélène...
    — Qu’ai-je dit de stupide pour que vous vous moquiez de moi ? bougonnai-je alors.
    — Ne le prends pas mal, ton âme est pure et garde-toi de changer. Mais, à l’inverse, Versailles est un monde où les nobles sentiments n’ont pas cours. Il y règne une sultane libertine qui donne la mesure, il s’agit de madame de Montespan. Haïr le roi parce qu’il la trompe ? Mais c’est elle qui lui choisit de belles jouvencelles quand ses grossesses l’indisposent. Haïr celui qu’on aime ? Mais sa passion est au-delà. Et qu’en tirerait la reine des fêtes de Versailles ? Tuer le père de ses enfants ? Le roi n’a que tendresse pour ses bâtards. Enfin, la marquise de Montespan n’est rien sans le roi. À l’instant où il mourrait, ses ennemis – dont la reine est la première – la feraient disparaître.
    — Soit. Vous l’emportez sur ce point. Et je reconnais que l’accusation n’est pas fondée. Mais que pensez-vous des messes noires ?
    — Montespan se fait appeler la puta par la Reine, mais c’est faux. Elle est fidèle au roi. Elle lui a voué sa vie et ses entrailles. La jalousie s’exerce plutôt dans le sens inverse. C’est le roi qui la fait surveiller. Jour et nuit, des gardes sont sur son dos... Sauf quand elle se niche dans le lit de Louis. Il lui est donc impossible de s’échapper dans les rues sombres de Paris pour rejoindre les membres d’une secte satanique. De plus, sa foi en Dieu est sincère.
    — Cette femme est pieuse ?
    — La Montespan, cela fait partie de son charme, est complexe. Elle vit dans le péché avec le roi, mais elle prie, se confesse et communie.
    — Cela suffit-il pour l’absoudre ?
    — Voici mon dernier argument. Le roi a suivi les moindres détails de l’Affaire des Poisons. Il a lu les témoignages recueillis par La Reynie. Il sait la vérité. Crois-tu qu’il ait pu accepter de garder à ses côtés une femme ayant pactisé avec le diable et, de surcroît, qui aurait voulu le tuer ? La preuve de l’innocence de Montespan réside dans sa présence à Versailles, aux côtés du roi. Elle vit, reçoit à vingt pas de la chambre royale. Louis XIV ne pourrait héberger une vipère en son propre sein.
    La marquise de Sévigné avait consulté la boîte de chocolat. Elle était vide. Son front s’était vu parcouru de petites contrariétés.
    — Eh bien ! Dès demain, nous ferons la fortune de Chaillou. En attendant, que déduis-tu de l’innocence d’Athénaïs de Montespan, ma chère Hélène ?
    — Si elle n’est pas fautive, qui a voulu tuer le roi ?

    Le détail m’avait marquée : les petites contrariétés revinrent sur son front.
    — Tu es comme les autres... Un sorcier hurle qu’on a voulu assassiner le roi et tu y crois. Il n’existe aucune preuve, mais le coup est si gros qu’on se jette sur cette piste. Pendant ce temps, on oublie l’inventeur de cette fable. Lui, il gagne du temps. J’ai même imaginé qu’on lui avait soufflé cette idée machiavélique.
    — Qu’espérait-il en mentant ?
    — Il est désormais l’acteur d’un drame historique. D’empoisonneur, il devient témoin d’un régicide. Son cas passe au second plan. Qui cherche-t-on à présent ? L’inspirateur du crime royal. Et vers qui se tourne-t-on ? La marquise de Montespan.
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