L'Insoumise du Roi-Soleil
père cette pareille peine.
Son regard tendre et doux était venu à moi. En femme généreuse, elle avait entrepris de mettre fin à notre trouble :
— Fuyons les sujets tristes. Il est trop tard pour recevoir ce monsieur de Saint Val, mais nous pouvons au moins le saluer, fit-elle d’un ton léger.
Sa fatigue semblait loin. Déjà, elle s’était levée. Puis, brusquement, rassise.
— Non, c’est trop rapide. Rien d’officiel pour le moment. En revanche, avait-elle pouffé, nous jouerons les curieuses. Viens vite !
Elle m’avait prise par la main et, d’un pas rapide, entraînée jusqu’à une pièce dont la fenêtre donnait sur la rue. Le carrosse attendait sagement. François de Saint Val semblait assoupi.
— Voilà un jeune homme patient, dit-elle. Pour le reste, j’attendrai pour juger.
Elle détaillait le carrosse :
— C’est dans cet attirail que tu comptes te présenter au marquis de Penhoët ?
— Je m’en tiens à la ligne que vous défendez : prudence et discrétion...
— Un valet au bras et un noble pour cocher ! Dieu qu’il est bon d’être insouciante...
La marquise, éclatant de rire, m’avait prise dans ses bras :
— Ne le fais pas trop attendre. Mais sois prudente ! Sinon, j’informerai ton père... Ah ! Mais nous devions lui écrire et tu m’as fait parler et raconter ! Tu m’as tant torturée que j’en ai le cœur retourné.
— Ne sont-ce pas plutôt les chocolats de maître Chaillou ?
Son rire avait filé dans le couloir ; sa robe de soie grise disparut dans la pénombre. Puis, j’étais descendue comme on le sait retrouver François de Saint Val. En rentrant, j’avais fait un détour par la cuisine. Jean-Baptiste et Sébastien s’échangeaient à voix haute leurs expériences. Ils gémissaient aussi sur le temps qui s’écoulait. Avant d’entrer, prenant la précaution de tendre l’oreille, j’avais compris qu’ils noyaient leur nostalgie dans un vin fort qui ralentissait le débit de la conversation. Prudemment, j’avais fait demi-tour. Le chocolat me servit de souper.
Il était minuit quand je posai la plume. J’avais repensé à cet échange instructif et franc, et consigné les explications de la marquise de Sévigné sous la forme d’une lettre que j’entendais adresser à mon père. J’y ajoutai quelques détails sur notre entrée à Paris. Je citai François de Saint Val... Enfin, je l’informai de mon intention de me rendre à Versailles le lendemain. Mais je posai surtout une question : selon lui, et d’après ce qu’il savait, l’intolérance dont il subissait les effets pouvait-elle nicher dans le secret de l’Affaire des Poisons ? Croyait-il, comme le soutenait la marquise de Sévigné, que la cause était cachée ? L’idée de l’interroger à ce sujet s’expliquait naturellement. J’étais à Paris pour lui venir en aide, j’en avais fait le serment. Je n’avais conçu aucun plan sinon d’approcher le roi et de plaider ma cause. Dès lors, j’étudierais toutes les pistes, tous les bruits. Pour l’accomplissement de mon dessein, l’humeur du roi et de la cour ne comptait pas comme un détail... J’avais aussi promis à mon père de le renseigner sur ce qui se présenterait. Et, depuis l’enfance, je partageais avec lui toutes mes préoccupations. Je pensais enfin qu’il trouverait du réconfort à recevoir des nouvelles peu banales. Mais, pour finir, ne risquais-je pas surtout d’accroître son inquiétude, lui qui avait ses propres idées à propos de l’Affaire des Poisons ?
Avant de me précipiter à Versailles, j’aurais dû en réalité attendre sa réponse. Or je ne l’ai pas fait. Je n’imaginais pas vers quoi me conduisait cette cause cachée , que madame de Sévigné n’avait fait qu’effleurer. Et je ne pouvais concevoir ses conséquences sur la suite de ma propre vie.
JE CHANTE MES AMOURS
1 - La place Royale devint celle des Vosges au XIX e siècle pour honorer le premier département ayant acquitté ses impôts.
2 - Un contrat notarié de Nicolas Dupuis indique la présence d’un escalier à vis.
3 - Avant de mourir, La Reynie donna au roi les notes qu’il avait prises pendant son enquête.
4 - Serpent légendaire.
VIII. Un coup de foudre
François de Saint Val plaidait sa cause :
— Si je viens à vos côtés, je n’aurai plus à tourner la tête pour voir ce que vous voyez et qui, le temps de le dire, est déjà loin, mais que vous continuez à montrer obstinément du doigt en
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