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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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silence. Il sentait que je lui échappais. Alors il jeta la dague à mes pieds et fit demi-tour. On l’appelait. Le roi se présentait. C’était la première fois que je le voyais de près. Louis XIV était – est – un bel homme, Hélène. Il paraît plus grand que sa taille. Son visage fin compte pour beaucoup dans cette impression. Il parle peu. Il observe. Il sonde. Il domine. Et il juge en silence. Son opinion est faite et vous ne saurez la vérité qu’au moment où votre sort bascule. Il vous choisira pour vous mettre à son service et vous n’existerez plus. Il vous congédiera d’un regard et vous n’existerez plus. Ce jour-là, le roi chassait avec son lieutenant général des armées navales. On le dit bon cavalier et il ne s’agit pas d’une légende. Son appétit est aussi féroce que sa force est grande. J’ajoute que rien ne l’épuise. Cet infatigable use trois meutes et autant de chevaux en une après-midi. Puis il tourne le dos sans un mot, sans un regard et se rend au galop à Versailles. Il aperçoit déjà les contours de son palais. Il arrive chez lui, dans la plus belle demeure du monde. Il franchira les grilles sous les acclamations d’un peuple émerveillé. Le roi est là. Les ouvriers s’affairent. Les courtisans s’affolent. La chevauchée s’achève. Devant, il y a la place d’Armes. Plus loin, les grilles... En pénétrant encore, la cour de marbre et, en scrutant l’horizon, on aperçoit, au sud, le parterre de Midi et, au nord, le bassin du Dragon. Ce sont les prémices des jardins royaux. Mais n’écoutez plus. Levez les yeux, Hélène. Et regardez au loin. Nous aussi, nous arrivons...
    Nous entrions par l’une des trois avenues qui conduisaient à la place d’Armes. J’apercevais l’entrée du château où une foule grouillante s’amassait. Ce n’était pas un palais, mais une cité immense, fourmillant de bâtisseurs. On frappait l’enclume, on taillait le bois, on dressait les pierres en hurlant les ordres. Il y avait une armée de femmes, d’hommes et d’enfants encadrés par des soldats et des gardes suisses et ce peuple remuait la terre, enfonçait les clous, poussait des charges énormes sur des brouettes dont les roues s’enlisaient dans une glaise épaisse. Mille, peut-être deux mille ouvriers se tenaient autour de feux titanesques dans lesquels brûlaient les vestiges des échafaudages. Assis ou allongés à même un sol détrempé, ces fantassins sales et fatigués ne parlaient pas. Ils mangeaient un morceau de pain, buvaient l’eau bonne que leur tendaient dans des seaux rouillés des gamins de six ans. Ils avalaient cul sec, puis s’essuyaient la bouche en grimaçant leur douleur. Ils se tenaient le dos. Ils souffraient. Il faisait froid.

    Plus loin, on avait dressé des baraques sommaires et des tentes taillées dans une toile grossière. Les fondateurs de Versailles y dormaient tant bien que mal et les blessés, en grand nombre, s’y reposaient. Pour les accueillir tous, m’expliquait François, on avait dû construire une salle de la Charité . Les bras et les jambes cassés, les côtes fracturées, les yeux crevés ne se comptaient plus. En passant, nous vîmes une femme qui gémissait et pleurait sur le corps inerte d’un enfant dont la tête s’encerclait d’un bandage teinté de sang. Étions-nous éveillés ? Sans doute, puisque François continuait de me parler. Mais sa voix me parvenait comme assourdie :
    — Un autre souvenir me vient à propos de la chasse royale à laquelle j’assistai. Nous allâmes à Versailles à la suite du roi et c’était un honneur insigne. Je crois que nous nous trouvions à cet endroit même quand une femme se jeta sur lui pour hurler son chagrin. Son fils venait de mourir. En tombant d’un échafaudage, il s’était rompu le cou. Pour dédit, on lui avait offert cinquante misérables livres et elle n’en voulait pas. Elle suppliait qu’on lui rende son fils. Le Roi-Soleil passa sans la regarder. La femme insista et, devant tant d’indifférence, en vint aux insultes. Son chagrin l’avait rendue folle. Pour le guérir, on la fouetta... Vous êtes à Versailles, Hélène, et c’est ce que vous vouliez, murmura-t-il, la mâchoire crispée de rage.
    Un homme aux vêtements déchirés s’approcha de la pauvre femme qui ne pouvait se détacher de la dépouille de son enfant. Il la saisit aux épaules, la força à se relever et lui tendit une bêche. Elle hésita, puis la prit. Ses yeux se

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