Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
la belle nature, j’aurais pris depuis longtemps ma volée pour aller visiter un peu les plaines désertes de ces paysans, si j’en avais eu le pouvoir aussi bien que le désir. Mais voici Clinton qui vient nous joindre ; il va nous accompagner à Copp’s-Hill, où nous pourrons tous prendre une leçon excellente, en étudiant la manière dont le cher Howe va faire manœuvrer ses bataillons.
Un militaire de moyen âge les joignit dans ce moment. S’il n’avait point la grâce et l’aisance du général qui continuait à donner le bras à Lionel, il avait un air martial et intrépide qui contrastait avec l’extérieur doux et pacifique de Gage. Ils quittèrent alors ensemble la maison du gouverneur, pour aller se placer sur l’éminence dont il a déjà été si souvent question.
Dès qu’ils entrèrent dans la rue, Burgoyne quitta le bras de son compagnon et marcha avec dignité à côté de l’autre général. Lionel profita avec plaisir de ce nouvel arrangement pour se tenir un peu en arrière de ses supérieurs, et il ne les suivit qu’à quelques pas de distance, afin d’observer les sentiments que manifestaient les Bostoniens, observations auxquelles les généraux ne croyaient pas devoir abaisser leur dignité. À toutes les fenêtres on voyait des femmes pâles et inquiètes avancer timidement la tête, tandis que les toits des maisons et les clochers des églises étaient couverts de spectateurs plus hardis et non moins curieux. Le bruit des tambours ne retentissait plus dans les rues, mais de temps en temps le son perçant d’un fifre se faisait entendre du côté de la mer, et annonçait les mouvements des troupes qui allaient passer sur l’autre péninsule. Mais ce ne fut que lorsque l’oreille fut accoutumée au fracas des décharges de l’artillerie, qui depuis le point du jour n’avaient point cessé d’ébranler la terre, qu’elle put distinguer ce qui, en comparaison, n’était qu’un faible murmure.
Lorsqu’ils descendirent dans la partie basse de la ville, ils la trouvèrent déserte et abandonnée. Les fenêtres étaient ouvertes, les portes n’étaient même pas fermées, tant avaient été rapides et irrésistibles les sensations qui avaient entraîné le peuple à chercher des positions plus favorables pour observer la lutte qui allait s’engager. Cette scène d’abandon et d’isolement, qui peignait si bien le vif intérêt qui était excité, produisit le même effet sur les deux généraux, et doublant le pas ils furent bientôt arrivés avec Lionel sur le sommet de la colline, d’où, planant au-dessus de tous les édifices, leurs regards s’étendaient librement sur tout l’horizon.
Le lieu de la scène se déroulait tout entier devant eux comme un tableau magique. Presque en face était le village de Charlestown, avec ses rues désertes et ses toits silencieux, semblable à l’enclos de la mort ; ou si quelques signes de vie animaient encore son enceinte, c’étaient les pas précipités de quelque habitant attardé qui traversait rapidement cette solitude pour quitter au plus vite un emplacement qui devenait dangereux. Au sud-est de la péninsule, et à la distance d’environ cinq cents toises, la terre était déjà couverte d’une quantité d’uniformes rouges, et les armes des soldats resplendissaient aux rayons du soleil. Entre deux, quoique dans le voisinage plus immédiat du village, se prolongeait la colline que nous avons déjà décrite, et qui, d’une plaine bordée par l’eau, s’élevait presque perpendiculairement jusqu’à la hauteur de cinquante ou soixante pieds. C’était sur le sommet de cette colline qu’avait été élevée la redoute qui causait tous ces grands mouvements.
Les prairies, sur la droite, étaient toujours riantes et paisibles comme dans les jours les plus tranquilles de la province, quoiqu’il semblât à l’imagination frappée de Lionel qu’un long voile de deuil s’était étendu tout à coup sur la campagne, afin que tout fût en harmonie avec la scène lugubre qui se préparait. Au loin sur la gauche, de l’autre côté du détroit de Charles, le camp des Américains avait vu partir tous ses soldats pour aller prendre position sur les collines, et toute la population du pays, jusqu’à plusieurs milles dans l’intérieur des terres, s’était rassemblée sur un seul point, pour être témoin d’une lutte de laquelle dépendaient les destinées de la province.
Au milieu du silence effrayant de
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