Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
désordre des troupes anglaises s’étaient arrêtées au pied de la colline, et se formaient sous les yeux de leurs chefs avec une discipline admirable. De nouveaux renforts arrivés de Boston étaient venus prendre rang au milieu de la ligne, et tout annonçait qu’on allait livrer un second assaut.
Après le premier moment de stupeur qui succéda à la retraite des troupes royales, la canonnade recommença avec dix fois plus de furie qu’auparavant, et des bombes noires et menaçantes paraissaient suspendues au-dessus des travaux comme des monstres prêts à fondre sur leur proie.
Cependant tout restait calme et immobile derrière la petite redoute, comme si personne n’eût été intéressé à l’issue de cette sanglante journée. Pendant quelques minutes seulement on vit un vieillard d’une haute stature se promener à pas lents sur le sommet du rempart, et observer d’un œil tranquille les dispositions du général anglais ; bientôt après il échangea quelques mots avec un autre Américain qui était venu le joindre dans ce lieu d’observation dangereux, et ils disparurent ensemble derrière le parapet de terre. Lionel entendit le nom de Prescott de Pepperel passer sourdement de bouche en bouche autour de lui, et sa lunette ne le trompa point lorsque dans son compagnon d’une taille moins élevée il crut reconnaître le chef inconnu des Caucus.
Tous les regards observaient alors la marche des bataillons, qui s’avançaient de nouveau vers l’endroit fatal. La tête des colonnes était déjà en vue de l’ennemi, lorsqu’un homme, sortant du milieu des décombres du village embrasé, monta légèrement la colline. Au milieu des périls qui l’entouraient, il s’arrêta sur le glacis naturel, et fit voler son chapeau en l’air avec enthousiasme. Lionel crut même entendre le cri provocateur un instant avant que Job Pray (car il avait reconnu l’idiot) disparût derrière la redoute.
L’aile droite de la petite armée des assiégeants s’enfonça de nouveau dans le verger, et les colonnes faisant face à la redoute s’avancèrent avec toute la précision imposante de la discipline. Leurs armes brillèrent bientôt sous le parapet de terre, et Lionel entendit le guerrier expérimenté qui était près de lui murmurer à voix basse, comme s’il se parlait à lui-même.
– Qu’il retienne son feu, et il emportera la redoute à la pointe de la baïonnette !
Mais l’épreuve était trop forte, même pour le courage exercé des troupes royales. Les décharges se succédèrent, et au bout de quelques moments elles furent de nouveau cachées sous le nuage épais formé par leur propre feu. Alors se fit entendre la terrible détonation des Américains ; et les nuages de fumée partis de tous les points à la fois se réunirent autour des assaillants, de manière à dérober aux spectateurs les ravages qu’elle avait causés. Vingt fois dans le court espace d’autant de minutes Lionel crut que le feu des milices se ralentissait devant les décharges régulières des troupes anglaises ; puis l’instant d’après c’étaient ces décharges au contraire que lui semblaient plus faibles et moins fréquentes.
Au surplus, toutes les incertitudes cessèrent bientôt. Les vapeurs épaisses suspendues sur le champ de bataille s’éclaircirent en plus de cinquante endroits, et les colonnes rompues des Anglais reculèrent pour la seconde fois devant leurs ennemis intrépides, dans la plus grande confusion. En vain les officiers, l’épée à la main, les menaces et les exhortations à la bouche, faisaient-ils tous leurs efforts pour arrêter le torrent ; la plupart des régiments ne cessèrent de fuir que lorsqu’ils se virent en sûreté dans les chaloupes. Dans ce moment un bruit sourd se fit entendre dans Boston, et chacun se regardait avec un étonnement mêlé d’une joie qu’il ne cherchait pas à cacher. Un murmure de satisfaction à peine étouffé circulait de place en place, et dans presque tous les yeux respirait l’ivresse du triomphe. Jusque alors Lionel avait été partagé entre son orgueil national et son esprit militaire ; ces deux sentiments se combattaient dans son cœur ; mais enfin le dernier l’emporta, et il regarda fièrement autour de lui, comme pour voir si quelqu’un osait se féliciter de l’échec essuyé par ses camarades. Burgoyne était encore à ses côtés, se mordant les lèvres de dépit, mais Clinton avait disparu tout à coup. L’œil
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