Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
faiblesses sont quelquefois héréditaires.
– Je vous pardonne vos injustes soupçons en faveur de ce charmant aveu ; mais me permettez-vous de m’adresser à votre aïeule pour lui demander qu’elle consente à ce que nous soyons unis sur-le-champ ?
– Quoi ! vous ne voudriez pas qu’on chantât votre épithalame, quand il est possible que l’instant d’après le son d’une cloche funèbre vous appelle aux funérailles d’un ami ?
– La raison que vous faites valoir pour différer notre mariage, Cécile, est précisément celle qui m’engage à le presser. La saison s’avance, et il faut que cette guerre, qui n’a été jusqu’ici qu’un enfantillage, se termine. Howe rompra la barrière qui le retient ; et chassera les Américains des hauteurs voisines, ou il ira chercher un autre théâtre pour une guerre plus active. Dans l’autre cas, vous resteriez sans appui, à un âge où vous en avez encore besoin, dans un pays déchiré par des divisions intestines ; car votre vieille aïeule n’est plus en état de vous en servir. Assurément, Cécile, vous ne pouvez hésiter à vous mettre sous ma protection dans un tel moment de crise, et je pourrais même, ajouter que vous le devez autant par égard pour vous-même que par compassion pour mes sentiments.
– Continuez : j’admire l’adresse de votre esprit, sinon la justesse de vos arguments. Je vous dirai pourtant que d’abord je ne crois pas que votre général trouve si facile de chasser les Américains des hauteurs voisines. Par un simple calcul arithmétique, que je suis moi-même en état de faire, vous devez voir que, s’il lui a coûté tant de monde pour s’emparer d’une seule de nos montagnes, il serait obligé d’acheter bien cher la possession de toutes les autres. Ne prenez pas un air si grave, Lionel, je vous en supplie. Sûrement vous ne pouvez croire que je veuille parler avec légèreté d’une bataille qui a pensé vous coûter la vie, et… et… me coûter mon bonheur.
– Je vous dirai à mon tour : continuez, dit Lionel chassant à l’instant le nuage passager qui lui couvrait le front ; j’admire vos sophismes et votre sensibilité, sinon vos raisonnements.
Rassurée par sa voix et par ses manières, Cécile, après un moment d’extrême agitation, reprit la parole avec le même enjouement qu’auparavant.
– Mais supposons que votre général se soit rendu maître de toutes les hauteurs des environs, et que le chef des Américains, qui, quoiqu’il ne soit qu’un rebelle, sait pourtant se faire respecter, soit repoussé dans l’intérieur avec son armée, je me flatte que tous ces exploits se feront sans qu’on ait besoin de l’assistance des femmes. Et si Howe transportait ailleurs ses forces, comme vous me le donnez à entendre, il n’emportera pas la ville avec lui. Dans tous les cas, je resterais donc tranquillement où je suis, n’ayant rien à craindre au milieu d’une garnison anglaise, et encore moins au milieu de mes propres concitoyens.
– Cécile, vous ne connaissez ni les dangers ni la licence de la guerre. Quand bien même Howe abandonnerait cette place, ce ne serait que pour quelques instants ; croyez bien que le ministère anglais ne cédera jamais la possession d’une ville comme celle-ci, qui a si longtemps bravé tous ses efforts, à des hommes armés contre leur monarque légitime.
– Vous avez étrangement oublié les six mois qui viennent de s’écouler, Lionel, ou vous ne m’accuseriez pas d’ignorer toutes les misères que la guerre peut occasionner.
– Mille remerciements de ce reproche et de cet aveu, chère Cécile ; l’un et l’autre sont des preuves de votre tendresse ; mais pourquoi chercher à cacher encore des sentiments que vous m’avez déjà laissé entrevoir ?
– Je n’hésite pas à les avouer à celui dont le cœur généreux saura excuser ma faiblesse ; mais il m’est peut-être permis d’hésiter à faire un pareil aveu en face de tout le monde.
– Je m’adresserai donc à votre cœur, dit Lionel feignant de ne pas voir le sourire de coquetterie innocente qu’elle lui adressait.
– En mettant les choses au mieux, conviendrez-vous qu’une seconde bataille ne serait pas un événement extraordinaire ?
Elle le regarda avec des yeux où l’inquiétude était peinte, mais garda le silence.
– Nous savons tous deux, du moins je sais par expérience que je ne suis pas invulnérable. Maintenant, répondez-moi,
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