Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
derniers pas de ceux qui entraient dans l’église eurent cessé de se faire entendre, la crainte qui lui avait troublé l’esprit, s’il est permis d’employer ce terme en parlant d’un idiot, se dissipa peu à peu ; il quitta sa posture accroupie, et dit d’une voix basse mais emphatique :
– Qu’il aille à Prospect, et on lui apprendra quelle est la loi.
– Fou pervers et obstiné ! s’écria Lionel en le tirant sans cérémonie hors de sa niche, voulez-vous continuer à crier ainsi jusqu’à ce que vous ayez été étrillé par tous les régiments ?
– Vous avez promis à Job que les grenadiers ne le battraient plus, et Job vous a promis de faire vos commissions.
– Oui, mais si vous n’apprenez à garder le silence, j’oublierai ma promesse, et je vous abandonnerai à la colère de tous les grenadiers qui sont dans la ville.
– Oui, dit Job avec l’air de satisfaction d’un idiot, mais il n’en reste plus que la moitié ; les autres sont morts. Job a entendu le plus grand d’entre eux crier comme un lion enragé le jour de la bataille : – Hurra pour Royal-Irlandais ! Mais il n’en a pas dit davantage, quoique Job n’ait pas trouvé de meilleur appui pour son fusil que l’épaule d’un mort.
– Misérable ! s’écria Lionel en reculant avec horreur, vos mains sont-elles donc teintes du sang de Mac-Fuse ?
– Mes mains ? répéta l’idiot sans se déconcerter ; Job ne l’a pas touché avec ses mains ; il est mort comme un chien, à l’endroit où il est tombé.
Toutes les idées de Lionel furent un moment en confusion ; mais un bruit auquel il ne pouvait se méprendre lui annonçant l’arrivée de Polwarth, il dit à la hâte d’une voix tremblante d’émotion :
– Partez, drôle ; allez chez Mrs Lechmere comme je vous l’ordonne, et dites… dites à Meriton d’avoir soin de mon feu.
L’idiot fit un mouvement pour obéir, mais s’arrêtant tout à coup, il leva les yeux sur le major, et lui dit d’un air souffrant et avec un ton suppliant :
– Job est engourdi de froid. La vieille Nab et Job ne peuvent avoir de bois à présent ; le roi paie des soldats qui se battent pour le prendre. Permettez à Job de se réchauffer un peu ; ses membres sont froids comme la mort.
Touché de cette demande et de l’air de misère de l’idiot, Lionel lui fit un signe de consentement, et se détourna pour joindre son ami. Il ne fut pas nécessaire que Polwarth parlât pour apprendre au major que le capitaine avait entendu une partie de la conversation qui venait d’avoir lieu entre Job et lui ; il vit clairement, à son attitude et à l’expression de sa physionomie, qu’il était instruit de ce qu’il aurait voulu lui cacher, et que ce qu’il avait appris avait fait sur lui une forte impression.
– Ne vous ai-je pas entendu prononcer le nom de Mac-Fuse ? demanda Polwarth en suivant des yeux l’idiot, qui s’avançait dans la rue couverte de neige et de glace.
– C’était quelque nouvelle sottise de cet imbécile, répondit Lionel. Mais par quel hasard n’êtes-vous pas dans l’église ?
– J’en sors, répondit Polwarth d’un ton grave. Ce drôle est votre protégé, major Lincoln ; mais vous portez peut-être l’indulgence trop loin. Je viens vous chercher à la requête de deux beaux yeux bleus, qui, depuis une demi-heure, demandent à tous ceux qui entrent dans l’église pourquoi le major Lincoln n’y est pas encore.
Lionel lui fit ses remerciements, feignit de sourire du ton grave qu’avait pris son ami, et, sans plus de délai, ils entrèrent tous deux dans l’église et se placèrent dans le banc de Mrs Lechmere.
Les idées religieuses qui occupèrent alors Lionel bannirent insensiblement de son esprit les réflexions pénibles qu’avait fait naître son entrevue avec Job. Il entendit la respiration pénible et entrecoupée de l’être aimable qui était agenouillé à son côté, pendant que le ministre lisait les actions de grâces qui le concernaient personnellement, et quelque reconnaissance terrestre se mêlait au sentiment de gratitude qu’il élevait vers le ciel. Sous le voile transparent qui couvrait le visage de Cécile, il vit ses yeux pleins de douceur prendre la même direction, et il se rassit aussi heureux que peut l’être un amant bien épris quand il se sent assuré de posséder l’affection d’une jeune personne aussi pure qu’aimable.
Le service divin n’offrit peut-être pas
Weitere Kostenlose Bücher