Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
la coïncidence bizarre des circonstances qui avaient concouru à lui donner un air de mystère. Une ou deux fois une idée pénible qui se rattachait au secret de la vie de Mrs Lechmere se glissait au milieu des plus douces visions ; mais elle disparaissait bientôt devant l’image de celle dont la tendre et touchante affection allait lui confier son bonheur.
Comme la résidence du docteur Liturgy était dans North-End, qui était alors le quartier du beau monde, Lionel dut faire une grande diligence pour être exact au rendez-vous. Jeune, actif, plein d’espérance, dans sa marche légère il touchait à peine le pavé ; et, lorsqu’il arriva chez le docteur, il vit en regardant à sa montre qu’il avait presque égalé la rapidité du temps.
Le révérend docteur était dans son cabinet, assis dans un grand fauteuil à bras, auprès d’un bon feu et d’une cruche remplie d’un mélange de cidre, de gingembre et d’une foule d’autres épices dont Polwarth lui-même eût été embarrassé de faire l’énumération ; il cherchait à se consoler de son mieux de la fatigue du jour. Son ample et belle perruque avait été remplacée par un bonnet de velours ; ses souliers étaient débouclés, et pour plus d’aisance les talons n’en étaient pas relevés. En un mot, tout en lui annonçait un homme qui, après une journée de travail, était résolu de goûter les jouissances d’une soirée de repos. Sa pipe, quoique remplie et placée sur la petite table qui était auprès de lui, n’était pas allumée, par égard pour l’hôte distingué qu’il attendait.
Comme il connaissait un peu le major Lincoln, celui-ci n’eut pas la peine de décliner son nom, et sur l’invitation du docteur, il s’assit auprès de lui, l’un cherchant à vaincre le léger embarras qu’il éprouvait à expliquer le motif de sa visite, l’autre assez curieux d’apprendre quel motif avait pu engager un membre du parlement et l’héritier de dix mille livres sterling de rente à sortir à une pareille heure et par un pareil temps.
À la fin Lionel parvint à faire comprendre au prêtre étonné ce qu’il désirait ; et il s’arrêta pour entendre sa réponse, qu’il ne doutait point devoir être favorable.
Le docteur Liturgy avait écouté avec la plus profonde attention, comme s’il trouvait qu’une proposition aussi extraordinaire dût cacher quelque mystère dont il cherchait à trouver la clé ; et, lorsque le jeune officier eut fini, il alluma sa pipe sans savoir ce qu’il faisait, et commença à laisser échapper de grosses bouffées de fumée, comme un homme qui voit qu’on projette d’empiéter sur le temps consacré à ses jouissances, et qui, en conséquence, est bien décidé à mettre à profit tous les instants.
– Vous marier ! vous marier dans l’église ! et après l’office du soir ! murmura-t-il à voix basse dans les intervalles que lui laissaient ses aspirations fréquentes ; c’est mon devoir… assurément…, major Lincoln…, de marier mes paroissiens.
– Je sais que ma demande n’est pas très-régulière, Monsieur, interrompit l’impatient Lionel, et j’aurai soin que vos intérêts se trouvent d’accord avec votre devoir.
En disant ces mots, il tira de sa poche une bourse bien garnie, et plaça avec beaucoup de délicatesse une petite pile de pièces d’or auprès de l’étui à lunettes en argent du révérend, comme pour montrer la différence de la valeur des deux métaux.
Le docteur Liturgy inclina gravement la tête en signe de remerciement, et insensiblement il dirigea le cours de la fumée vers le coin opposé de sa bouche, afin que sa vue pût planer sans obstacle sur l’or resplendissant. En même temps il leva le talon d’un de ses souliers, et jeta un coup d’œil inquiet du côté de la fenêtre, pour s’assurer de l’état du temps.
– La cérémonie ne pourrait-elle se faire à la maison de Mrs Lechmere ? demanda-t-il ; miss Dynevor est délicate, et je crains que l’air froid de la chapelle ne lui fasse mal.
– Elle désire se marier à l’autel, Monsieur, et vous sentez que ce n’est pas à moi de lui refuser une demande aussi raisonnable.
– C’est un désir très-louable, très-louable en vérité, quoique je présume qu’elle connaît la différence entre l’église temporelle et la spirituelle. Les lois des colonies laissent beaucoup trop de latitude sur l’article des mariages, major Lincoln ; une latitude
Weitere Kostenlose Bücher