Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
différente en tous points de l’édifice vénérable, mais profané, qu’il venait de quitter. En y entrant, la lueur de sa lanterne alla frapper sur les riches tapis écarlates qui décoraient plusieurs bancs, et sur les ornements brillants du bel orgue qui maintenant était aussi muet que les morts qui reposaient sous le pavé du temple et autour de son enceinte. Les colonnes élancées, surmontées de leurs élégants chapiteaux, projetaient leurs ombres douteuses dans les nefs latérales et peuplaient les galeries hautes ainsi que la voûte de fantômes vaporeux et fantastiques.
En avançant dans la chapelle, Lionel s’aperçut avec plaisir du changement de température. La chaleur qu’on avait entretenue pendant les différents offices du jour ne s’était point encore dissipée ; car quoique la ville et la garnison manquassent de bois, le temple favorisé, où le représentant du souverain avait coutume de venir prier, ne connaissait pas encore les privations qu’imposait le siège. Job fut chargé de ranimer le feu mourant des poêles, et comme il savait très-bien où se trouvait la provision de bois, il se mit à l’ouvrage avec une vivacité qu’augmentait encore le froid qu’il avait.
Lorsque tous les préparatifs furent terminés, Lionel alla chercher une chaise, tandis que Job, accroupi contre un des poêles qu’il venait de rallumer, se tenait dans l’humble posture qui lui était habituelle et qui exprimait d’une manière si touchante le sentiment qu’il avait de son infériorité. Lorsqu’une chaleur douce et bienfaisante eut dégourdi les membres demi-nus du pauvre idiot, sa tête tomba sur sa poitrine, et il s’endormit d’un profond sommeil, comme un chien de chasse harassé qui a enfin retrouvé son gîte. Un esprit plus actif eût désiré sans doute de connaître les raisons qui pouvaient engager son compagnon à se rendre à l’église à une heure aussi indue. Mais Job était étranger à la curiosité, et il était bien rare que les faibles lueurs de son intelligence s’étendissent plus loin que les saints préceptes qu’on lui avait inculqués avec tant de soin, avant que la maladie eût troublé toutes ses facultés, ou ces principes populaires du moment qui animaient tous les esprits des habitants opprimés de la Nouvelle-Angleterre.
Lionel n’était pas aussi tranquille. Sa montre lui disait que bien des minutes pénibles s’écouleraient avant qu’il pût espérer de voir sa prétendue, et il se disposait à l’attendre avec autant de patience qu’en comportaient ses vingt-cinq ans et les circonstances où il se trouvait. Bientôt le calme de la chapelle ne fut plus interrompu que par les sifflements du vent et le pétillement de la flamme du poêle contre lequel Job était étendu dans un heureux oubli de ses maux.
Lionel essaya de retenir ses pensées vagabondes et de les reporter sur la cérémonie solennelle dans laquelle il allait bientôt jouer le premier rôle. Mais, trouvant cette tâche trop difficile, il se leva, et approchant d’une fenêtre, regarda les rues désertes et les tourbillons de neige que le vent chassait devant lui, écoutant avec impatience si aucun bruit ne lui annoncerait l’arrivée de ceux que sa raison lui disait qu’il ne pouvait attendre encore. Il alla se rasseoir et porta autour de lui un œil inquiet, éprouvant une sorte d’appréhension involontaire que quelqu’un ne fût caché dans l’obscurité qui l’environnait, dans le dessein secret de s’opposer à son bonheur. Tous les incidents de la journée lui paraissaient si singuliers et si romanesques, que par moments il pouvait à peine les croire réels, et qu’il avait besoin de jeter un coup d’œil rapide sur l’autel, et même sur son compagnon assoupi, pour se persuader qu’il n’était pas le jouet d’une vaine illusion. Il porta de nouveau les yeux sur les ombres incertaines et multipliées qui paraissaient à son imagination frappée se mouvoir lentement le long des galeries et dans le vague de l’air, et il sentit renaître toutes ses craintes avec une force qui les faisait ressembler à un pressentiment. Enfin son agitation devint si pénible qu’il s’enfonça dans les recoins les plus sombres de l’édifice, regardant si personne n’était caché dans les bancs, et jetant un œil scrutateur derrière chaque colonne ; mais il n’entendit que le bruit sourd et retentissant de ses pas.
En revenant de sa ronde, Lionel approcha du poêle et
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