Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
sur-le-champ s’avancer vers elle un jeune homme que l’ombre d’un magasin situé sur le quai avait caché jusque alors.
– Je crains que vous ne vous soyez trompée de chemin, lui dit-il en s’approchant d’elle et en l’examinant avec beaucoup d’attention ; puis-je vous demander qui vous cherchez ici et ce qui vous y amène ?
– Je cherche quelqu’un qui a dû être envoyé ici par ordre du général en chef.
– Je ne vois que deux personnes ; où est la troisième ?
– Vous pouvez l’apercevoir à quelque distance, répondit Cécile en lui montrant Meriton, qui marchait d’un pas plus circonspect que sa maîtresse ; nous devons être trois, et nous sommes tous présents.
– Je vous demande mille pardons, répliqua le jeune homme, qui portait une redingote de marin, sous laquelle on apercevait l’uniforme de midshipman de la marine royale ; mes ordres étaient d’agir avec la plus grande précaution, Madame, car comme vous l’entendez, les rebelles ne dorment guère cette nuit.
– Je quitte une scène véritablement terrible, dit Cécile, et plus tôt vous pourrez m’en éloigner, plus je vous en aurai d’obligation.
Le jeune homme la salua pour lui témoigner qu’il était prêt à la satisfaire, et se mettant en marche, il l’invita à le suivre avec ceux qui l’accompagnaient. Au bout de quelques instants, ils trouvèrent un escalier qu’ils descendirent et qui les conduisit au bord de l’eau, où une barque les attendait.
– En besogne, camarades, dit le midshipman avec un ton d’autorité, et maniez vos rames avec autant de précaution que si vous vouliez vous dérober à un ennemi. Ayez la bonté d’entrer dans la chaloupe, Madame, et vous ne tarderez pas à être déposée en sûreté sur l’autre rive, quel que puisse être l’accueil que vous recevrez des rebelles.
Cécile, l’inconnu et Meriton passèrent sur-le-champ dans la barque, qui partit avec une rapidité qui promettait de réaliser bientôt les promesses du jeune officier. Le plus profond silence régnait parmi les marins, et lorsqu’ils eurent ramé quelques minutes, Cécile perdit un instant le souvenir de sa situation, pour s’occuper de la scène qui s’offrait à ses yeux.
Par un de ces changements soudains particuliers à notre climat, la soirée était déjà plus douce, et commençait même à devenir agréable. La lumière de la lune, tombant sur la ville et sur le port, rendait tous les objets visibles, et leur prêtait un aspect séduisant. Les masses énormes des vaisseaux de guerre anglais reposaient sur les eaux, comme des léviathans endormis, sans qu’une seule barque voguant dans le port troublât la tranquillité de ce spectacle. D’une autre part, les hauteurs de Boston se dessinaient en relief sur un firmament d’azur, et l’on voyait çà et là un toit ou un clocher qui réfléchissait la pâle clarté de la lune. La ville semblait aussi tranquille que si tous les habitants en eussent été ensevelis dans le sommeil de minuit ; mais derrière les montagnes, dans un circuit qui s’étendait depuis les hauteurs de Charleston jusqu’à l’isthme, tout attestait une guerre affreuse. Depuis quelques nuits les Américains avaient fait des attaques plus sérieuses que de coutume ; mais dans celle qui avait lieu alors, ils semblaient faire usage de toute leur énergie. Ils épargnaient pourtant encore la ville, et ils dirigeaient leur feu contre les batteries qui défendaient les approches de la péninsule du côté de l’occident.
Les oreilles de Cécile étaient accoutumées depuis longtemps au tumulte des armes, mais c’était la première fois que ses yeux voyaient le spectacle imposant et terrible d’une canonnade nocturne. Se découvrant la tête, elle écarta de son front ses cheveux noirs, et s’appuyant sur le bord de la barque, elle écoutait le tonnerre de l’artillerie, et regardait les éclairs soudains dont la lumière éclipsait les rayons de la reine des nuits, avec une attention qui bannissait momentanément de son esprit toute autre idée. Les marins battaient la mer avec des rames enveloppées de linge pour faire moins de bruit, et la barque avançait dans un silence si complet qu’on entendait non seulement le ronflement du canon, mais le bruit de la destruction occasionnée par les boulets.
– Je ne puis concevoir, Madame, dit Meriton, que tant de généraux anglais et tant de braves gens qui sont à Boston s’opiniâtrent à rester
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