Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
parlé le premier s’écria :
– Ne tirez pas : le jeune homme a eu le bonheur de nous échapper, et il le mérite par sa hardiesse. Assurons-nous de ceux qui restent ; un coup de fusil tiré ne servirait qu’à attirer l’attention de la flotte et du château.
Ses compagnons, qui avaient agi avec la lenteur de gens qui n’étaient pas bien sûrs de ce qu’ils devaient faire, appuyèrent par terre la crosse de leurs fusils et regardèrent la barque qui s’éloignait en se dirigeant vers la frégate tant admirée, et qui fut bientôt à une telle distance que les balles n’auraient pu l’atteindre. Cécile avait à peine pu respirer pendant ce court moment d’incertitude ; mais quand l’instant du danger fut passé pour ceux qui l’avaient conduite, elle se prépara à s’adresser à ceux qui semblaient la tenir prisonnière, avec toute la confiance qu’une Américaine manque rarement d’accorder à la douceur et à la raison de ses compatriotes. Ceux qui composaient cette petite troupe portaient les vêtements ordinaires des habitants de la campagne, avec quelques insignes de l’accoutrement martial des soldats. Ils n’avaient pour toutes armes que des mousquets, et ils les maniaient avec la dextérité d’hommes habitués à s’en servir, mais de manière à prouver qu’ils ne connaissaient pas l’exercice et les manœuvres des troupes régulières.
Toutes les fibres du corps de Meriton tressaillirent de frayeur quand il se vit entouré par les Américains, et l’inconnu qui accompagnait Cécile ne parut même pas exempt de toute appréhension. Mais Cécile conserva tout son sang-froid, soutenue soit par le projet qu’elle avait conçu, soit par la connaissance plus intime qu’elle avait du caractère des gens entre les mains desquels elle était tombée.
Quand ceux qui étaient sur le bord de l’eau se furent rapprochés d’elle, ils appuyèrent de nouveau sur la terre la crosse de leurs fusils et écoutèrent paisiblement l’interrogatoire auquel leur chef procéda. On ne le distinguait de ses compagnons que par une cocarde {64} verte attachée à son chapeau, mais Cécile savait que c’était la marque distinctive des officiers subalternes {65} .
– Il est désagréable d’avoir à interroger une femme, dit-il d’un ton calme mais ferme, et surtout une femme qui a votre apparence ; mais mon devoir l’exige. Pourquoi êtes-vous venue en cet endroit solitaire, et à une pareille heure, à bord d’une chaloupe d’un vaisseau du roi ?
– Je n’avais nul dessein de cacher mon arrivée, répondit Cécile ; car tout ce que je désire, c’est d’être conduite devant quelque officier supérieur à qui j’expliquerai le motif qui m’amène. J’en connais un grand nombre qui n’hésiteront pas à me croire sur ma parole.
– Nous ne doutons nullement de votre véracité ; mais nous agissons avec précaution, parce que les circonstances l’exigent.
Ne pouvez-vous me faire connaître quel est ce motif ? car je n’aime pas à être obligé de mettre une femme dans l’embarras.
– Je ne le puis.
– Vous venez dans un malheureux moment, et je crains que vous n’ayez une mauvaise nuit à passer. D’après votre accent, je crois que vous êtes Américaine ?
– Je suis née sous les toits que vous voyez dans la péninsule en face de nous.
– En ce cas, nous sommes de la même ville, dit l’officier en cherchant à distinguer les traits cachés sous le capuchon de soie, mais sans faire un seul geste annonçant l’intention de le soulever ou pouvant blesser le moins du monde la délicatesse d’une femme. Voyant qu’il ne pouvait y réussir, il se détourna en disant :
– Je suis las de rester dans un endroit d’où je ne puis voir que la fumée de mes cheminées quand je sais que des étrangers sont assis autour de leur foyer.
– Personne ne désire plus ardemment que moi, dit Cécile, de voir arriver l’instant où chacun pourra jouir en paix de ce qui lui appartient.
– Que le parlement rapporte ses lois, et que le roi rappelle ses troupes, dit un autre Américain, et l’affaire sera bientôt terminée. Nous ne nous battons pas pour le plaisir de répandre du sang.
– Il le ferait si une voix aussi faible que la mienne pouvait avoir quelque influence sur son esprit.
– Je ne crois pas qu’il y ait une grande différence entre l’esprit d’un roi et celui d’un autre homme, quand le diable y est une fois entré. J’ai dans
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